lundi 10 avril 2017

4ème ITV de Nathalie Dau


WOW ! Déjà 4 pages !

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                                          © Romain Jacquot / Antoine Ottone


Bienvenue sur Bookenstock Nathalie !




"C'est ton tour, Nathalie ! Tu dois rédiger ta présentation !"
Et là, ça se complique.

Parce que je ne rentre jamais dans les cases.
Parce que je ne suis pas seul-e dans ma tête et que je ne sais pas qui présenter, exactement. Ni en quels termes.

Et puis il n'y a pas grand-chose d'intéressant à savoir, à mon sujet. L'essentiel est déjà sur wikipédia.
Après, ceux qui sont dans mes contacts FB savent que j'ai des chats, que je les aime fort et qu'ils me le rendent bien. Que j'ai des enfants, trois filles désormais grandes. Que je milite pour une vision plus humaine de la société, fondée sur l'amour et la solidarité et non sur les valeurs de l'argent et de l'exploitation mortifère des forces vives. Que j'habite en zone rurale, dans un petit village de l'Eure quelque peu hors du temps. Mais le temps est une notion très floue, pour moi, de toute façon. Est-ce qu'on doit calculer selon celui de la Terre, celui de Kephéda ou celui d'Eorzéa ?
Sur Terre, je suis officiellement une femme de cinquante ans reconnue adulte handicapé, souffrant au quotidien dans sa chair, et se trimbalant tellement de blessures et de traumatismes tant physiques que psychologiques qu'on peut se demander ce qu'elle fiche encore parmi vous.
Sur Kephéda, je suis tous mes personnages, et surtout Ceredawn, avec lequel j'ai pas mal de points communs (même s'il est mille fois mieux que moi). Cela fait bientôt trente ans que nous nous fréquentons (la rencontre date de juillet 1987).
Sur Eorzéa (univers du mmorpg Final Fantasy XIV), je suis là encore multiple, mais surtout confortable quand j'incarne Ceryan, auquel j'ai fabriqué un corps aussi proche que possible de mon image mentale. Il faut savoir que je suis non binaire, et que l'image que me renvoie mon miroir n'a rien à voir avec celle que j'ai dans la tête et le coeur. Je ne me sens ni femme ni homme, mais un mélange des deux avec une dose d'aucun des deux. C'est compliqué. Même moi je m'y perds, parfois.
Je vis en ces trois mondes, parfois en alternance, parfois en même temps. Avec un point de convergence : mon ordinateur.
Je n'ai pas de bureau. Je ne peux plus rester des heures assise plusieurs jours d'affilée, même avec une chaise ergonomique. Je vis donc assise dans mon lit, et j'ai un joli plateau pliant adapté pour supporter mon ordinateur portable (il y a même un ventilateur intégré, pour les mois d'été, et un petit tiroir dans lequel je range mes stylos, ma clef usb et quelques broutilles que je ne veux pas égarer tout en les conservant à portée de main).
Des livres, il y en a absolument partout dans la maison. Mais ceux que je conserve au plus près, dans la bibliothèque de ma chambre, ce sont mon bon vieux dictionnaire des rimes, mes mangas yaoi et mon énorme pile à lire. Et puis il y a une étagère spéciale pour Estelle Faye, que j'adore en tant qu'auteur et en tant que personne, et une autre étagère spéciale pour Isabelle Wenta, que j'adore au moins autant et qui en plus partage mes délires éorzéens.

Je n'ai pas d'horaires précis. Je ne dors plus beaucoup à cause de la maladie, et surtout pas la nuit, puisque c'est la nuit que je suis le plus en forme. La plupart du temps, je dors quand j'ai sommeil, je mange quand j'ai faim (plus beaucoup, là encore), j'écris quand mon cerveau est en état de le faire (ce qui a ralenti ma production, j'en ai bien conscience), je lis, je regarde des séries, je joue...

Et j'attends.

Enfermé-e dans mon corps, dans ma maison, dans mon village, dans mon département (le règlement de la Sécurité Sociale quand on est en arrêt maladie même de très longue durée : si je veux sortir de l'Eure, je dois demander la permission au minimum 15 jours à l'avance, avec un papier tamponné par mon médecin), j'attends tout ce qui me permet de me sentir un peu plus libre, un peu moins en souffrance. Des mots gentils, un peu d'amour, la certitude de compter pour celles et ceux qui comptent pour moi. La venue de l'inspiration, d'une journée de rémission (mais ça fait bien longtemps que je n'y ai plus eu droit). Le retour de mon mari quand vient le soir. Les réponses aux messages que j'envoie, aux livres que j'écris comme autant de bouteilles que l'on jette à la mer... et qui parfois se brisent sur des rochers cruels.

J'attends le jour où j'aurai le droit de me reposer enfin, après toutes ces années de bons et loyaux services.
Même si, parfois, il y a des rencontres qui électrisent et donnent envie de se battre pour durer plus longtemps.

On dit qu'en avril, il ne faut pas se découvrir d'un fil...

Mais moi, je n'ai jamais eu peur de me mettre à nu, alors vous pouvez poser toutes les questions que vous voulez, je ferai de mon mieux pour y répondre honnêtement.



Et pour ceusses qui ne connaissent pas Ceryan, le voici :













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Olivier :


Bonjour Nathalie,



Au Salon Imaj'nère d'Angers de ce week end, j'ai eu l'occasion de rencontrer un de mes auteurs fétiches en la personne de Thomas Geha et en parlant de ces différents ouvrages, il a évoqué une Anthologie qui lui est chère et une auteure qui fait son admiration dans l'Anthologie "Lancelot"....une certaine Nathalie Dau.... Pour lui ta nouvelle "Le Donjon Noir" est tout simplement la nouvelle absolue. Et me voilà achetant avec fureur l'Anthologie ci-dessus nommée et de dévorer "Le Donjon Noir"... Je confirme que c'est un bijou, as-tu éprouvé un vrai plaisir à te plonger dans le côté obscur d'Arthur, Guenièvre et Lancelot comme de la Table Ronde ? Commets-tu de nombreux autres textes dans des Anthologies de ce genre ? Qu'est ce qui t'a poussé à adhérer à ce projet ? Quelles sont tes motivations à le faire ? dans quel registre ? et ces nouvelles éparses sont-elles des prémices à tes propres ouvrages ? Je pars une semaine au Tyrol et prends soigneusement les deux premiers tomes de cette série si prometteuse ... à très vite.


Nathalie :
Recoucou, Olivier, et ravi-e que tu aies passé d'agréables moments à ImaJ'nère. Je suis très honoré-e aussi d'apprendre ce que Thomas Geha pense de ma nouvelle "Le Donjon noir" (il ne m'en avait rien dit, le fourbe, pas même lors de ma dédicace à Rennes chez Critic !)
Des nouvelles en anthologies, oui, j'en compte pas mal à mon actif. Mais je dois avoir un instinct de chien de berger car je tente toujours de les rassembler en troupeau, ensuite, pour former des recueils. D'ailleurs, au cours des dernières années, j'ai laissé quelques petites coquines vagabonder à l'écart de mes pâtures, il va falloir que je les rapatrie.
Puisque tu abordes le sujet, je peux d'ailleurs annoncer la parution, cet été, d'une anthologie sur le thème de Brocéliande, dont je n'ai pas encore officiellement le droit de parler, mais je peux quand même préciser que mon texte a été livré, validé, et est prêt à être imprimé.

Je suis féru-e de mythologie, je crois l'avoir déjà mentionné. Parmi tous les corpus sur lesquels je me suis penché-e au cours de ma vie d'autodidacte, j'avoue une affinité particulière avec celui qui nous provient des Celtes. J'ai lu un jour, sous la plume de je ne sais plus quel érudit, que les Celtes rêvaient leur histoire tandis que les Romains historicisaient leurs mythes. Eh bien je ressens cela, profondément. Il y a, dans les légendes celtiques, une dimension onirique et magique à laquelle je suis très sensible, et qui entre en résonnance avec ma propre approche poétique et symbolique du monde. Bien évidemment, ce ne sont pas les textes les plus tardifs, empreints de morale chrétienne, qui me parlent, mais ceux qui préservent au plus près, dans les limites autorisées par l'époque de la transcription, l'ancien esprit païen. Je me considère comme païen-ne mais davantage d'un point de vue philosophique que religieux, car je n'ai pas de pratique, pas de cercle - même si, pour mon troisième mariage, j'ai sacrifié à un rituel peu orthodoxe improvisé par l'officiant : un ami conteur qui partage mon amour des arbres.

Bref, les mythes celtes, oui, c'est l'une de mes passions. Je me sens particulièrement en harmonie avec le corpus gallois, et j'en ai tiré pléthore d'histoires. Mon texte "Le Donjon noir" s'en nourrit, tout en le mélangeant au corpus armoricain, davantage christianisé. Et j'assume parfaitement que mes lointains souvenirs, encore émerveillés, de "L'Enchanteur" de Barjavel ont aussi eu une influence sur la tonalité de cette nouvelle.
En 2018, les Moutons électriques ont prévu de publier, dans leur collection petit format, mon roman celtique paru en 2008 chez Argemmios et désormais épuisé. Il reparaîtra sous le titre "Le Chaudron brisé" et aura fait l'objet d'une révision stylistique afin de le tirer un peu plus vers le haut, à la demande de l'éditeur.

J'ai également une autre nouvelle celtique, "Owein", qui figurait au sommaire de l'anthologie "De Brocéliande en Avalon" dirigée par Lucie Chenu et parue chez Terre de Brume. On peut retrouver cette nouvelle, en compagnie de cinq autres (dont "Dans trois jours nous nous retrouverons", très irlandaise, avec banshee et femme-cygne) et de mon premier roman, dans mon recueil "Tangram", préfacé par Ayerdhal, aux éditions Black Coat Press, collection Rivière Blanche (et chez Lune Ecarlate pour la version numérique).
En outre, dans les Contes Myalgiques (également épuisés suite à la fermeture des éditions Griffe d'Encre, mais dont j'ai conservé quelques exemplaires), j'avais plusieurs textes puisant également à ces sources, notamment "Aénor", une légende "à la mode de Bretagne" que j'ai totalement inventée. Et mon roman mosaïque "En revenir aux fées" (éd. Mythologica, épuisé lui aussi), dans lequel "Le Donjon noir" a d'ailleurs été intégré, est également largement sous la même influence, même si je pense avoir pratiqué intuitivement un certain syncrétisme pour bâtir mon propre corpus, en puisant également à d'autres sources. A moins qu'il ne s'agisse, là encore, de ma vieille démarche visant à renouer avec le tronc commun, les archétypes premiers, pour chercher ce qui transcende les différences et souligne la vanité des clivages ? Je ne le sais pas trop. Ce n'est pas forcément conscient, chez moi, sur le coup.
Toujours dans la veine du "seul, c'est moins fun", j'ai par ailleurs dirigé en 2003, pour les éditions Nestiveqnen, l'anthologie "L'Esprit des Bardes", dans laquelle j'avais invité les auteurs à se nourrir de mythes celtiques non arthuriens (parce qu'en France, on connaît bien le roi Arthur et les chevaliers de la table ronde, mais il y a tellement plus dans la mythologie celte !) Et même après toutes ces années, je suis drôlement fier-e du sommaire que j'avais composé. Certains de ces auteurs ont fait une très belle carrière, depuis, d'autres n'ont pas poursuivi malgré le talent dont ils avaient fait montre, mais ce n'est pas grave. L'important est que cette anthologie existe (ou a existé, on ne doit plus la trouver facilement, elle non plus) et a permis à pas mal de lecteurs de découvrir des personnages comme Cuchulainn, Blodeuwedd, Lug et Balor, Pryderi, Macha, le suner-gwad et tant d'autres. Autour de jeux, de transpositions, de détournements, d'ajouts, mais toujours avec ce souffle, cette poésie que dispense Kerridwen, la Blanche Déesse de l'inspiration.

Enfin, à la question sur les prémices, je répondrai que ça arrive. "Le Chaudron brisé" a d'abord existé sous forme de longue nouvelle dans une anthologie parue en 2000 au Fleuve Noir. "En revenir aux fées" est né suite à l'écriture de la nouvelle "Follette" que j'ai offerte à la librairie toulousaine Bédéciné pour son anniversaire (et parce que Cathy Martin est une femme formidable que j'aime beaucoup et que je vois trop peu). Mais l'inverse est vrai aussi, puisque j'ai déjà écrit et publié en anthologie (et en revue) quelques nouvelles tirées de l'univers du cycle "Le Livre de l'Enigme", nouvelles qui vont rejoindre le troupeau... enfin, le recueil "Fragments de l'Âge Ancien".

La motivation ? Tout simplement la rencontre entre un thème et une plume. J'ai déjà décliné des invitations parce que le thème ne me parlait pas, du moins pas à ce moment-là. C'est comme pour tout, ou presque, dans ma vie : j'y vais à l'instinct, je n'aime pas forcer. Si ça ne coule pas de source, je n'insiste pas. Et si vous en déduisez que je ne sais pas m'imposer, que je fuis si je me sens mal accueilli-e, tandis que je m'épanouis dans des atmosphères favorables, eh bien... c'est vrai ! :-)



Bouchon des bois :

Bonjour Nathalie 
J'arrive une fois ce "mois de" bien entamé, et prends enfin le temps de découvrir ta présentation...
Oh, que je comprends mieux ton talent pour faire naître les émotions les plus diverses en nous ! Quelle sensibilité se dégage de ces lignes ! 
Alors, ma première question... Même si j'ai une bonne idée de ta réponse : vais-je autant souffrir avec Bois d'ombre qu'avec Source des tempêtes ? Gare à toi, car je compte le commencer dans le train...


Merci pour tout ! 


Nathalie :

Coucou Bouchon des Bois, et merci pour tes mots :-)

Ma réponse à ta question va sans doute être la plus courte de celles que j'ai faites jusqu'à présent : non, tu ne vas pas souffir autant. Tu vas souffrir bien davantage ! (Enfin, si tu as de la tendresse pour ces personnages, bien évidemment).
Mais n'oublie pas que les ténèbres ont un coeur de lumière, et que cette lumière-là, j'en préserve l'éclat. ;-)




May :

Bonjour Nathalie,
J'ai fini Source des Tempêtes hier. J'ai été emportée, chamboulée, déchirée, mais j'ai adoré ma lecture, vraiment ! Tout cela parce que je me suis énormément attachée aux personnages (et à Cerdric autant qu'à Ceredawn, ce qui ne semble pas toujours être le cas) Ma première question va d'ailleurs être au sujet de Cerdric et sur votre choix d'en faire le personnage principal du premier tome. J'ai trouvé cela osé de donner tant de place à cet anti-héro et de s'attarder sur tout le pathos de son histoire. Surtout que, au final, c'est Ceredawn qui semble le plus important dans l'histoire et dans votre cœur. Alors pourquoi avoir choisi de mettre en avant les mémoires de Cerdric ? (Mais ne vous méprenez pas, de mon côté j'ai vraiment adoré suivre tous les détails de la vie de Cerdric, j'ai adoré ses défauts et j'ai énormément souffert avec lui. Comme vous l'expliquez si bien en réponse à la question d'Aurélie, il est terriblement en manque d'amour et c'est ce qui a fait que je me suis énormément attaché à lui.)
J'avais de nombreuses questions en tête, de nombreux "pourquoi ?" mais votre présentation m'a vraiment permis de vous connaître et de comprendre beaucoup de choses.
Bref, je crois que je vous adore ! même si je ne suis pas très sûre de survivre à la suite du parcours de Cerdric et Ceredawn hihi
Merci pour tout ! 

Nathalie :

Bonjour May, et merci pour l'émotion qui transparaît dans votre message.

Quand j'ai commencé à "recevoir" cette histoire, les premiers éléments qui m'ont été donnés correspondaient à ce qui va se produire dans le tome 4. J'avais donc entrepris de raconter à partir de là, et quand j'essayais d'expliquer le pourquoi du comment, je devais procéder par flashback ou analepse. Il y en avait trop, on s'y perdait totalement. D'autant que l'univers est plutôt riche et qu'il fallait aussi en expliciter les particularités.
Donc, sur les conseils de Marion Mazauric, que je ne remercierai jamais assez pour ça, j'ai remonté le temps et la chaîne des causalités, pour chaque fait, chaque action, chaque personnage. Et le fleuve narratif dans lequel je nageais s'abreuvait à de nombreux ruisseaux, certains provenant de montagnes fort éloignées les unes des autres. Comment concilier tout ça ? Par quel bout prendre cette histoire ? Comment présenter les particularités sans noyer le lecteur dans un flot de savoir encyclopédique ?


Et j'ai fini par trouver : il fallait commencer par Cerdric. Parce qu'il est Réfractaire, donc étranger à la magie, et que ses questionnements sont légitimes. Ainsi, on pouvait apprendre avec lui, en douceur, petit à petit, découvrir par ses yeux, même si ses perceptions sont quelque peu biaisées.
Cerdric m'a permis d'instiller le sentiment de la familiarité, de mettre également en scène le contexte du monde des hommes, et d'amener par petites touches tout ce qui lui est étranger, tout ce qui s'est réfugié dans les forêts sauvages et que les gens, aussi bien les Kephédans que beaucoup de Terriens, ne veulent pas voir. Ils ne veulent pas non plus y croire, ils veulent que tout cela disparaisse voire n'ait jamais existé, mais Cerdric, tout comme les lecteurs, a tout de même cette curiosité, cette appétence pour la magie qu'il ne peut pratiquer lui-même. Ainsi, il entre chez les fées alourdi par les préjugés imputables à son éducation, et s'il n'en ressort pas lavé de tout, il a tout de même allégé ses épaules d'un grand poids. "Les ténèbres ont un coeur de lumière". Il a vu cette lumière et, même s'il ne la comprend pas, il l'aime. Dorénavant, il articulera sa vie autour d'elle - et c'est un peu ce que j'ai fait.
C'était important aussi, pour moi, de présenter Ceredawn au travers des yeux de quelqu'un qui l'aime d'emblée, s'émerveille et s'engage à le protéger. Car ce ne sera pas, par la suite, la réaction que produira le plus souvent le semi-rive. Certains l'aimeront, mais beaucoup le détesteront. Ce que les uns admirent et convoitent, les autres le rejetent violemment voire cherchent à le détruire. Il ne laisse pas indifférent, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais il n'appartient pas au registre de l'absolu, de l'universel. Il n'a pas ce charisme ravageur qui séduit instantanément les foules. Parce que je pense que la perception que chacun a d'autrui est subjective, et que les concepts de Beau, de Bon, de Mal, de Laid restent au-delà de nos limites. Je n'ai pas beaucoup étudié la philosophie et je serais incapable de dire si je me rapproche d'une école ou d'une autre, mais le mythe de la caverne développé par Platon m'est resté dans la tête et me parle beaucoup. C'est aussi lui, dans "le Banquet", qui amorce la théorie des âmes soeurs. Et même si je ne l'exprime pas de la même façon, puisque mes personnages ne sont pas obsédés par la quête du double, cela nous fait quand même deux points en commun.


Bref. Découvrir Ceredawn par les yeux de Cerdric, cela pouvait permettre de l'aimer, ou au moins d'être intrigué par lui. Et de mieux comprendre, ensuite, toute la violence que représentent le rejet, le racisme, l'abaissement de l'autre au simple rôle d'objet utilitaire...
Nous sommes tous des êtres sensibles, peu importe notre enveloppe corporelle.




Paikanne :

Nathalie, vous êtes renseignée sur la liste des auteurs présents à Trolls et Légendes : quel(s) jour(s) précisément serez-vous présente ?

Nathalie :


Je serai présente le samedi après-midi et le dimanche toute la journée, sur le stand des Indés de l'Imaginaire. :-)




L'identité ou le genre est une question qui vous touche personnellement
vous posez vous parfois la question pour vos personnages ou cela est-il évident dès le départ (je n'ose dire la conception) ? 



Nathalie :


Bonjour XL,
Avant de prendre la plume (ou le clavier), j'interroge longuement mes personnages. Et je ne rédige qu'une fois que je sais précisément qui ils sont. Certains sont des hommes, certains sont des femmes, certains sont les deux, ou ni l'un ni l'autre, certains s'interrogent sur ce qu'ils sont, se cherchent et se découvrent. Je les accompagne, je ne décide pas pour eux. J'essaie de les comprendre, mieux que ne le font parfois leurs proches et la société au sein de laquelle ils évoluent. Je raconte ce qu'il y a à raconter. Parfois, ça tourne effectivemment autour de l'identité, du genre... et parfois, ce point est secondaire.
Il y a ceux dans lesquels je me projette, aussi, dans mes nouvelles et autres écrits (que je rassemble, pour moi-même, sous l'appelation "encres de ce monde", et que je sépare de tout ce qui concerne mes mages bleus). Forcément, ces reflets de moi-même partagent tout ou partie de mes préoccupations, de mes questionnements. Mais en ce cas, c'est délibéré. Et à travers eux, c'est un peu ma propre identité que j'explore et interroge.
Cela peut sembler égoïste, narcissique... et c'est certainement catharsique. Mais quand je mets en scène, comme je l'ai fait notamment dans les Contes Myalgiques, l'une ou l'autre des diverses souffrances physiques et morales qu'un humain peut rencontrer au cours de sa vie, je crois surtout que je donne la parole à des gens qui se sentaient enfermés dans le silence, dans le sentiment d'être seuls et incompris. J'ai reçu trop de témoignages en ce sens pour en douter. On m'a remercié-e d'avoir mis des mots sur des vécus qui n'étaient pas le mien tout en partageant avec le mien une certaine proximité. On m'a dit que maintenant, pour expliquer à son entourage ce qu'on traversait, on allait pouvoir faire lire tel ou tel texte dont j'étais l'auteur, et que c'était libérateur. Alors voilà. S'il y a une seule chose qui justifie le temps que j'y passe et l'existence de ma plume, c'est celle-là.






Je suis arrivée à la moitié de Source des tempêtes et je suis complètement immergée dans l'histoire. Je rejoins d'ailleurs l'avis de beaucoup d'autre : c'est une lecture exigeante qui emporte son lecture, difficile de ne lire que quelques pages à la fois. On a juste envie de se laisser envahir par ce récit... bref pour le moment je suis conquise. Avant de reprendre ma lecture, j'aurais d'ailleurs une question : existe-t-il une carte du monde de Cerdric et Ceredawn ? J'avoue je suis très visuel comme lectrice et toujours curieuse de découvrir un nouveau à travers une carte ;) 






Nathalie :




Merci pour ces mots.
Il existe effectivement une carte de l'ensemble des Terres Connues : c'est une grande feuille Canson au format A3 que j'ai dessinée voici tellement d'années que je ne m'en souviens plus. J'ai des dessins sur papier calque, aussi, à une plua large échelle, centrés sur les parties dans lesquelles l'intrigue prend place, parce que j'avais besoin de mieux visualiser et surtout de calculer la durée du déplacement en fonction du mode de transport, de la distance et du type de terrain. Mais ce sont des outils de travail, rien de tout cela n'est montrable en l'état. Seule la carte du continent Cestre a été finalisée par Mathieu Coudray d'après mes vieux dessins. Elle figure dans Source des Tempêtes, mais j'ai conscience que le format la rend difficile à lire, alors je vous la fournis en pièce jointe, pour que vous puissiez zoomer si besoin. Tout n'y figure pas, mais ça devrait vous aider à vous repérer.














Merci pour toutes ces réponses détaillées et le temps que tu nous accordes ! :)
Je continue à déguster Bois d'ombre et j'avoue vivre une expérience de lecture très différente d'avec Source des Tempêtes : là où les malheurs de Cerdric m'attendrissaient et me poussaient à continuer, ceux de Ceredawn me serrent le coeur et me poussent à faire des pauses. Pourtant, la troisième personne du point de vue de Ceredawn nous "préserve" un peu de sa douleur. 
Comment vis tu les souffrances que tu imposes à tes personnages ? Comment fais tu pour jongler avec la troisième et la première personne pour les retranscrire ? Et pourquoi ce choix de narration ?
À très bientôt :)





Nathalie :







Bonjour Allison,


Tu ne l'as pas relevé, mais j'utilise aussi, ce qui n'est pas des plus fréquent, la narration à la seconde personne. Et c'est avec elle que je nous fais entrer dans la tête des personnages, bien davantage qu'avec une narration à la première personne qui leur laisse tout loisir de nous baratiner ou de fausser notre ressenti via les biais de leur propre interprétation pas toujours consciente. Les mémoires de Cerdric en sont un bon exemple : malgré toute sa volonté de se montrer honnête, de retranscrire fidèlement les faits, il ne peut s'empêcher de les entacher de partialité. C'est flagrant dans ce qu'il transmet au sujet de sa mère, Nérasia.
La narration à la seconde personne, elle, nous place dans la situation de l'observateur impliqué. Parfois, le narrateur est effectivement un personnage en train d'en observer un autre et s'adressant à lui dans sa tête, exprimant ce qu'il ne peut ou ne veut pas dire directement (Arvrylith et Isgarinn, personnages introvertis, pratiquent de la sorte). Mais souvent, en tout cas dans le cas de Ceredawn lors des passages les plus dramatiques, c'est un phénomène de distanciation immédiate que j'ai déjà expérimenté et que j'ai tenté de rendre ainsi. L'esprit reste conscient de ce que le corps subit, mais il fuit et se suspend ailleurs, en aplomb, du côté de la clef de voûte, pour ne pas tout encaisser de plein fouet - sinon, ce serait trop destructeur. Alors est-ce cet esprit qui s'adresse à la pauvre enveloppe de chair ? Est-ce l'un des mages défunts qui assiste, impuissant, à ce que subit sa réincarnation ? Est-ce Lydidane qui parle à son ancêtre par-delà le voile du temps, et lui manifeste ainsi son empathie ? Est-ce moi qui souffre avec, au moment où j'écris, totalement hanté-e par l'action et surtout l'émotion (oui, il m'arrive de pleurer en écrivant certaines scènes) ? Est-ce l'Equilibre qui exprime, par ce biais, qu'il est conscient de ce que vit son servant ? Est-ce une variante du coryphée du théâtre grec antique, qui dirigeait le choeur tout en dialoguant parfois avec le protagoniste ? Sans doute un peu de tout cela.
La narration à la troisième personne désimplique un peu plus, tout en donnant une vision plus globale.
Je ne réfléchis pas vraiment, j'opère à l'instinct. Je visualise mes scènes, donc je suis un peu comme un réalisateur doublé d'un monteur qui jongle avec différentes caméras et différents plans. Parfois, j'écris une scène d'un certain point de vue, et elle ne fonctionne pas, alors je déplace ma caméra, ou j'alterne les plans, et là ça marche. Du moins, j'ai le sentiment que ça marche. Après, je teste auprès de mon mari, qui est mon alpha lecteur. Il ne lit pas, c'est moi qui lui lis à voix haute. La fameuse épreuve du gueuloir chère à Flaubert. C'est à ce stade, d'ailleurs, que je repère les répétitions, les maladresses rythmiques et phonétiques. J'écris pour transcrire les images et les musiques qui sont en moi, alors je peins et je compose avec mes mots. Je sculpte, aussi, je cisèle. J'invoque les parfums, les saveurs, les jeux de lumière, la température et le degré d'humidité. Tous mes sens participent de l'acte d'écrire. Je ne cherche pas uniquement à montrer, je cherche à faire vivre. Les mots ne sont qu'un vecteur, le seul dont je dispose pour transmettre cette autre réalité que je perçois et tente de partager.
Je ne fais pas de théorie, je n'applique pas de techniques, je n'ai même pas fait d'études de lettres et souvent je suis bien embarrassé-e quand on me sort les mots savants qui servent à analyser le travail des auteurs. J'ai pourtant animé des ateliers d'écriture, mais uniquement pour démythifier l'imagination et fournir des amorces créatives tout en sensibilisant au fait que le lecteur n'est pas médium, qu'il n'est pas en connexion directe avec l'esprit de l'auteur, et qu'il faut donc lui donner le juste équilibre, en matière d'information, entre l'ellipse et le superflu.


(Bon je pense qu'après ça on va ouvrir un tome 5  ITV5)

6 commentaires:

paikanne a dit…

Nathalie, vous êtes renseignée sur la liste des auteurs présents à Trolls et Légendes : quel(s) jour(s) précisément serez-vous présente ?

XL a dit…

L'identité ou le genre est une question qui vous touche personnellement
vous posez vous parfois la question pour vos personnages ou cela est-il évident dès le départ (je n'ose dire la conception) ?

Anne-Laure - Chut Maman Lit a dit…

Je suis arrivée à la moitié de Source des tempêtes et je suis complètement immergée dans l'histoire. Je rejoins d'ailleurs l'avis de beaucoup d'autre : c'est une lecture exigeante qui emporte son lecture, difficile de ne lire que quelques pages à la fois. On a juste envie de se laisser envahir par ce récit... bref pour le moment je suis conquise. Avant de reprendre ma lecture, j'aurais d'ailleurs une question : existe-t-il une carte du monde de Cerdric et Ceredawn ? J'avoue je suis très visuel comme lectrice et toujours curieuse de découvrir un nouveau à travers une carte ;)

Allisonline a dit…

Merci pour toutes ces réponses détaillées et le temps que tu nous accordes ! :)
Je continue à déguster Bois d'ombre et j'avoue vivre une expérience de lecture très différente d'avec Source des Tempêtes : là où les malheurs de Cerdric m'attendrissaient et me poussaient à continuer, ceux de Ceredawn me serrent le coeur et me poussent à faire des pauses. Pourtant, la troisième personne du point de vue de Ceredawn nous "préserve" un peu de sa douleur.
Comment vis tu les souffrances que tu imposes à tes personnages ? Comment fais tu pour jongler avec la troisième et la première personne pour les retranscrire ? Et pourquoi ce choix de narration ?
À très bientôt :)

Léa P a dit…

Bonjour !
J'ai lu vos deux recueils de Contes myalgiques, qui ont eu un effet magique sur moi : je me suis mise à aimer les nouvelles ! Bref, déjà, merci pour ces deux excellents moments de lecture (et de mythologie !) que j'ai passé avec ces volumes.
Bien entendu, j'ai aussi lu Source des tempêtes (et je me plonge aujourd'hui dans Bois d'ombre), qui fut une sacrée immersion dans un univers très fouillé ! J'ai aussi consulté l'e-book annexe, qui a ravi l'"exploratrice" en moi. Cela dit, il y a un point sur lequel j'aimerais avoir plus de précisions : les marnes ! J'aimerais vraiment en apprendre plus sur eux (autre que les propriétés de leur sang s'entend). Pourriez-vous en parler un peu plus ici ? Ou est-ce prévu dans un prochain livre ? (dans ce cas-là, je comprendrais parfaitement que vous ne vouliez rien dévoiler)
Dans tous les cas, un grand merci d'avoir pris le temps de répondre à toutes ces questions, les réponses étaient vraiment instructives !

Bouchon des Bois a dit…

Merci pour ta réponse Nathalie... J'ai dévoré la moitié de Bois d'ombre aujourd'hui, à la faveur d'un long voyage en train... Et j'ai eu bien, bien du mal à contenir mes larmes. Mes voisins ont d'ailleurs du se demander pourquoi je lisais le poing devant la bouche... Que c'est dur, mais que c'est dur !