Bonjour à toutes et tous !
Me voilà de retour, avec grand plaisir, sur Bookenstock.
En réalité, je n'ai jamais été bien loin : j'ai toujours pu compter sur la curiosité de Dup et Phooka, dès mes débuts, et je les en remercie encore. Mes débuts justement. Dès la parution du Village, en 2016, j'ai été invité, fort généreusement, à venir échanger en ces lieux. Avec la sortie le mois dernier de La Piste des cendres, c'est donc l'occasion d'un petit retour en arrière pour moi.
Cela fait ainsi moins de cinq ans finalement que j'ai « sauté le pas », franchi la barrière, et que je me retrouve sous l’œil des lectrices et des lecteurs, après avoir chroniqué tant de romans moi-même sur Elbakin.net. Le village, Célestopol, L'Empire du léopard, Poussière fantôme, La Piste des cendres, quelques nouvelles ici et là... Je crois que tout le monde pourra convenir au moins d'une chose : ce furent des années chargées et je n'ai pas chômé ! Un premier bilan ? Le temps passe toujours aussi vite et, pourtant, j'ai toujours l’impression de me trouver au début du chemin, l'impression que la prochaine histoire n’est jamais bien loin, mais que, sitôt celle-ci derrière moi, une autre se présentera déjà.
Et tout ça bien sûr en gardant dans un coin de la tête le fait de ne pas céder à l’envie du toujours plus. Quand on a toujours voulu écrire et partager ses histoires, quand on a bien conscience que le paysage français n'est pas extensible (on peut faire comme si, mais la réalité est ce qu'elle est), on pourrait se dire qu’il faut occuper le terrain. Bon, je sais qu'avec cinq romans en cinq ans (et même six avec le retour de Célestopol dans quelques mois...), je donne peut-être le sentiment d'être très présent, mais je vous jure, c'est aussi un concours de circonstances, tout simplement !
C'est aussi une période très riche. Ces dernières années ont connu pas mal de nouvelles approches, de nouvelles tentatives, parfois couronnées de succès, parfois non. Expérimenter, c'est important. Si je n'ai rien contre un bon cycle, j'ai toujours tenté de ne jamais refaire deux fois la même chose, tout bonnement car en tant que lecteur, j'aime les découvertes et les surprises ! C'est aussi la meilleure façon de ne pas se lasser soi-même quand on passe autant d'heures devant son écran - et croyez-moi, en tant que traducteur, je fais même double dose.
Eh bien, voilà, je ne sais pas trop quoi ajouter, si ce n'est que je me sens un peu nerveux, mais aussi un peu plus à ma place... Et j'espère répondre à vos questions du mieux possible !
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Bouchon des bois :
Bonjour Emmanuel,
Et merci pour ta réponse ! J'ai beaucoup, beaucoup aimé
La piste des cendres, c'est vraiment un roman incroyable. Tant pour le développement de l'intrigue que pour la puissance de ses personnages... Bref, ce fut vraiment un excellent moment. Alors... Merci, merci pour ça !
Maintenant, ma question (en espérant ne pas être passée à côté dans les précédents interviews) : quel fut ton plus gros défi de traducteur ? Et quel auteur aimerais-tu traduire ?
Emmanuel :
Bonjour !
Et merci beaucoup pour cette chronique qui m'a vraiment touché, notamment ce qui concerne les personnages.
Et merci aussi d'avoir pris le temps de passer aussi sur Babelio pour ne citer qu'un seul site de ce genre.
Pour répondre plus spécifiquement à la question, il me semble qu'il y a deux types de difficultés. Soit le roman que l'on traduit se révèle particulièrement ardu (en terme de niveau de langue, etc...), soit particulièrement mauvais. Et là, le défi n'est pas le même. Heureusement, j'ai rarement été concerné par le second cas de figure ! Alors, je dirai que mon plus grand défi est peut-être l'actuel, à savoir le Livre des Martyrs de Steven Erikson, de par l'ampleur de ce cycle et de son univers. Je termine actuellement le tome 6, qui m'aura demandé quasiment un an de travail (pas forcément en continu, certes, mais tout de même) pour un peu plus de 2 millions de signes. Soit le double de La Piste des cendres par exemple. Et il faudra enchaîner tout de suite avec le suivant, pour respecter les délais de parutions prévus. Heureusement que nous sommes deux pour 10 tomes, mais à partir du 6, je deviens le principal concerné, donc...
J'aimerais beaucoup traduire de nouveau des auteurs comme Felix Gilman ou Django Wexler, ou bien, on peut toujours rêver, me lancer dans une nouvelle traduction des aventures d'Elric de Melniboné.
Fantasy à la carte :
Bonjour Emmanuel, autre question concernant l'écriture. Peux-tu écrire n'importe où ? ou tu dois absolument être installé chez toi au calme ?
Emmanuel :
Eh bien, oui, j'ai cette chance de pouvoir écrire à peu près n'importe où. Je peux même écrire devant la TV allumée, même si ça devient alors un bruit de fond auquel je ne fais plus attention. Cela dit, autant ne pas s'infliger de handicap en prime ! J'essaie juste de changer de place à la maison par rapport à mon poste de traduction, pour, "symboliquement", basculer dans une autre activité. J'utilise même un ordinateur différent, pour accentuer la chose.
J'ai un ami qui lui peut écrire dans le train par exemple. Même avec un casque sur la tête, j'ai beaucoup plus de mal de mon côté, ce serait peut-être ma seule réserve. Je ne sais pas si c'est le côté confiné, l'impression qu'on va venir lire par-dessus mon épaule alors que tous mes voisins pourtant n'en ont que faire, mais ça m'est difficile. Dans ces cas-là, si je dois travailler, je préfère relire une traduction, à choisir.
XL :
Merci pour cette nouvelle, il n'y a pas que la Russie qui t'inspire, mais il me semble que dans la mythologie japonaise par exemple, à laquelle elle pourrait puiser, les esprits appartiennent aux lieux, pas aux territoires des hommes. Je chipote mais pourquoi l'un d'entre eux protègerait-il un royaume plutôt que l'autre, à part bien sûr pour créer la situation propice à l'histoire...
Emmanuel :
Bonjour !
Et merci d'avoir pris le temps de jeter un œil à la nouvelle.
Bonne remarque, mais comme je n'avais pas spécialement la mythologie japonaise à l'esprit, j'ai pu instaurer mes propres règles. Je préfère toujours ça plutôt que de vouloir à tout prix m'inscrire dans une tradition précise, que je respecte mais qui impose dès lors de suivre ses codes à elle.
Phooka :
Puisque la fin du mois arrive. Quelle est la question que tu aurais aimé que l'on te pose? Et puis pendant que tu y es, réponds y ;)
Emmanuel :
Très bonne question !
Sur quel sujet inédit pourrais-je vouloir être questionné ? Je pense que chaque oeuvre conserve une part de mystère, voulue ou pas par son auteur (ou son autrice, bien sûr). Dès lors, est-ce que, peu importe l'interrogation à venir, je peux vous répondre à 100% sincèrement ? La plupart du temps, oui, mais j'imagine que les questions les plus personnelles risqueraient de me voir botter en touche !
Il y a cela dit toujours des sujets plus "tabous", ou qui n'intéressent pas spécialement les lecteurs : est-ce qu'on peut espérer vivre de l'écriture en littérature de l'Imaginaire, est-ce que l'on n'est pas parfois frustré des moyens de la "concurrence", ce genre de choses, finalement assez auto-centrées...
Solessor :
Puisque nous avons en ce moment davantage de temps pour lire, quels sont les ouvrages que tu conseilles le plus souvent, tous genres confondus ?
J'ai vu que tu appréciais beaucoup les éditions Gallmeister, quels sont tes chouchous ?
Emmanuel :
À part les miens, donc (running-gag en cours...) ?
Je conseille souvent les premiers China Miéville, du Harry Harrison, du Cormac McCarthy, du Javier Negrete, du Jeff VanderMeer... Il y en a tellement !
Chez Gallmeister, pourquoi pas... Rambo ? Si, si.
Dup :
De Cormac McCarthy, je n'ai lu que La route, encensé par beaucoup, que j'ai trouvé pour ma part assez indigeste. Ai-je fais le mauvais choix pour découvrir cet auteur ?
Emmanuel :
Ah, moi j'ai adoré La Route. Indigeste dans quel sens ? Car avec un style aussi sec, j'imagine que c'est plutôt au niveau de l'histoire !
Tu pourrais peut-être essayer De si jolis chevaux ou Méridien de sang (le "meilleur" à mon sens mais aussi le plus dur).
Dup :
L'histoire, je me suis ennuyée, et j'ai capitulé avant la moitié, oops. Ok, c'est pas bien de juger quand on n'a pas fini un livre...
Emmanuel :
Alors, on peut toujours, il n'y a aucune règle qui impose d'aller au bout d'une lecture.
Mais c'est vrai que dans l'optique d'une chronique par exemple, ce serait sans doute plus délicat. ;-)
Du coup, ça te laisse de la marge pour un autre essai !
Dup :
Houla, c'était il y a fort longtemps, avant le blog, à l'époque où écrire une chronique d'un livre ne me serait jamais venue à l'idée, où je ne connaissais ni la signification, ni l'existence des SP !
J'écumais juste les forums littéraires à la recherche d'avis de lecture car je lisais déjà beaucoup.
Mais en l’occurrence La route m'avait été offert... échec.
Bonjour
Je vois que tu as traduit Les Jardins de la Lune - Le Livre des Martyrs 1 et que tu as donné ce titre à une nouvelle de Célestopol avec un sujet complètement différent, du coup je me rappelle une question qui m'est venue à l'esprit quand j'ai lu que tu mènes en parallèle ton travail de traduction et ton métier d'écrivain : t'est-il parfois arrivé de te rendre compte que tu importes des préoccupations/idées d'un cercle dans l'autre et comment y as-tu remédié ? Dans quelle mesure dirais-tu que l'un influence/complète/gêne l'autre ? Au contraire, penses-tu réussir à maintenir les deux imperméables ?
Autre question : tu n'es pas le seul à faire les deux, tu écris depuis le lycée si je me souviens bien et professionnellement tu as commencé par la traduction ? Avais-tu déjà l'intention d'être publié ? Personnellement j'adorerais traduire mais je me sens incapable d'écrire sans support : ça me paraît tellement bloquant la page blanche ! Comment rédiges tu le fameux incipit ?
Emmanuel :
Concernant les rapports entre écriture et traduction, je dirai que, chez moi, la seule crainte que j'ai pu avoir, relève davantage de la forme que du fond. J'ai par exemple traduit la première trilogie de Sam Sykes pour Fleuve Editions voilà quelques années et j'étais très à l'aise avec son style, peut-être trop. Cela dit, à cette époque, je ne nourrissais pas de projet d'écriture particulier, donc ça aurait été moins gênant. Mais c'est pour ça que maintenant je laisse toujours passer plusieurs heures avant de me mettre à écrire après avoir atteint mon quota de pages pour la journée en traduction. Ça suffit largement pour couper tout "lien" potentiel.
A l'époque où j'ai commencé à faire de la traduction un métier - donc en 2007-2008 - non, être publié n'était plus qu'un vieux "rêve", depuis un certain temps déjà. Je débutais en plus une activité professionnelle dans laquelle j'avais vraiment envie de pouvoir percer pour en faire mon métier à temps plein - on voit parfois passer des noms qui traduisent un texte et puis au-revoir, on ne les revoit jamais ensuite... - donc je ne voulais (surtout) pas me disperser. Cela dit, sur Elbakin.net, j'ai tenu plusieurs années une sorte de feuilleton, "Les Fabuleuses Aventures d'Archibald Bellérophon" (les deux premières saisons, je tenais le rythme d'un chapitre par semaine, tout de même), ce qui était sans doute un bon moyen de ne pas me sentir trop frustré. L'Archibald de Poussière fantôme est d'ailleurs une sorte de version parallèle, puisqu'ils ont le même caractère mais n'évoluent pas dans le même univers.
Ah, la page blanche... Souvent, la première phrase d'une histoire me vient "comme ça", d'un coup, après avoir réfléchi au sujet en amont bien sûr. Je me souviens que ça a été le cas pour Brasier, mon premier texte publié chez Rivière Blanche par exemple ("Ilario n’aimait pas mentir à la mort."). J'ai bien conscience que ça fait sans doute un peu Tolkien et son "Dans un trou vivait un Hobbit", mais je n'ai jamais vraiment eu de mal avec ça donc je ne serai pas d'une grande aide, je le crains. Si ce n'est qu'à force de réflexion, elle remonte "naturellement" à la surface, presque d'elle-même.
Ramettes :
Bonjour du dimanche,
Je ne crois pas avoir vu passer ces questions, si oui ne répond pas...
Je me demande toujours ... si les titres sont choisis par les auteurs ou par l'éditeur ou je ne sais qui...
Comment cela s'est passé pour la couverture ?
Pourquoi n'y a-t-il pas de carte du Nouveau-Coronado ? En as-tu une mentale ou une que tu aurais griffonné sur un coin de feuille ?
Emmanuel :
Pour les titres, non, en général, l'auteur arrive avec un titre pour son manuscrit, mais l'éditeur a bien sûr son mot à dire. Dans mon cas, par exemple, Le Village et La Piste des cendres sont deux "noms de code" qui finalement ont été utilisés tels quels. Il n'y a bien que pour Célestopol ou Poussière fantôme que j'étais tout de suite satisfait de mes idées de titre.
Pour les illustrations, il me semble que j'ai répondu, tout dépend de l'éditeur, et parfois je suis en contact direct avec l'artiste engagé, parfois non.
C'est marrant pour la carte, on m'en a parlé hier justement. C'est une décision de l'éditeur. On était d'accord, surtout pour l'Empire, que c'était mieux de "perdre" le lecteur, comme Cérès et ses troupes peuvent se retrouver perdus au-delà des montagnes. D'entretenir le flou. J'ai une carte, je l'ai peut-être même postée sur Instagram, mais je dessine tellement mal que, comment dire... l'inclure n'aurait pas été une bonne idée. Pas du tout !
Olivier :
Dernière question : un troisième Opus après La Piste des Cendres et l'Empire du Léopard ? Quelles sont tes sources géographiques, historiques et religieuses qui t'ont servi à la rédaction de ces deux supers bouquins ?
Merci de ta disponibilité et de tes réponses.
Emmanuel :
Merci Olivier !
J'aimerais beaucoup revenir à cet univers, toujours sans faire de suite directe, donc avec un nouveau tome indépendant, mais évidemment, tout va dépendre des ventes de La Piste des cendres. Le roman a tout de même eu la "chance" de connaître trois semaines pleines avant le confinement, mais si quand les librairies vont rouvrir leurs portes, on l'oublie pour faire de la place à tous les romans qui ont été décalés... Disons que j'espère que tous les lecteurs qui ont parlé de le mettre dans leur wishlist, ou qui ont carrément dit qu'ils se le procureraient dès que possible, le feront bel et bien. Ou que celles et ceux qui ont aimé y penseront s'ils cherchent un livre à offrir !
Je ne peux pas faire réponse plus honnête, même si ça paraît sans doute très froid. :-(
Pour mes sources, je pioche à droite à gauche, le plus souvent. Notamment du côté de la libération de l'Amérique du Sud, mais ça peut être aussi l'histoire des Comanches, De façon générale, j'aime bien proposer une histoire qui évoque notre histoire, si je puis dire. Un peu comme Guy Gavriel Kay, sans vouloir me comparer à lui bien sûr.
Dup :
1122 pages donc, ta traduction du tome 6 d'Erikson !!!
Peux-tu nous faire vite fait une règle de trois avec celui de ta traduction du tome 1 pour savoir -à la louche- le nombre de pages que cela donnera à l'impression chez Leha ?
Je frémis de trouver un tome plus gros que le tome 3...
Emmanuel :
Là, comme ça, sans aucun travail de mise en page/maquette, je pense que le roman est bien plus gros que les Jardins de la Lune de deux bons tiers. Donc, c'est sûr, ce tome 6 comptera beaucoup de pages, ça ne fait aucun doute !