lundi 19 mars 2012

ÊTRE UNE FEMME / 3 de Nicolas Sker





CHAPITRE 3

  



  Je suis mariée et j’ai fait du mal à une femme qui a décidé de se venger. C’est tout ce que je possède pour savoir qui je suis et ce qui m’arrive. A moins que ce tatouage délavé ne veuille bien m’en dire plus.
  La boutique dégage une lumière violette. L’homme qui accepte de me parler ne semble pas me reconnaître. Je lui montre mon épaule en baissant la bretelle de mon soutien- gorge.
- Trois passages conclut-il après inspection de ma peau.
- Pardon ?
- Vous en étiez à votre troisième séance de laser. Généralement il en faut quatre pour faire disparaître totalement un tatouage. Il ne reste plus grand chose…
- Ca m’aiderait vraiment si vous pouviez retrouver le tracé d’origine.
- Je peux essayer…
- Au feutre si ça ne vous dérange pas ?
  Le tatoueur marmonne quelque chose et me fait signe de m’asseoir.
  Alors qu’il s’évertue à retrouver des contours au trois quart effacé du dessin, je me demande ce que je fais là. Dehors, à travers la vitrine, les gens se pressent. Je n’en reconnais aucun. Qu’est-ce que je fais dans cette ville ? Est-ce celle où je vis ? Pourquoi personne ne me cherche ?
Le tatoueur peste et soupire. Je repense à cette femme. Je la connais forcément bien pour qu’elle puisse me traiter d’égoïste et m’accuser d’avoir fait tant de mal. Mais rien ne me vient.
- Tout ça pour ça.
Le tatoueur vient de repousser son tabouret roulant d’un coup de pied.
- Vous avez réussi ?
- Ouais…
  Je regarde mon épaule. Le tatouage le plus banal qui soit. Un coeur entourant deux lettres. Un P et un H. L’une des deux doit être la première lettre de mon prénom. Pauline ? Patricia ? Héloïse ? Hélène ? Tout cela ne m’aura servi à rien.
Un client entre. Il pose des questions au tatoueur. J’en profite pour m’éclipser. Il ne me courra pas après.
  Je marche, et je marche encore espérant à chaque coin de rue reconnaître un endroit. Mes pas me porteront peut-être vers un lieu connu. J’arrive aux abords d’une résidence. Des enfants jouent dehors. Devant l’une des maisons une voiture de police. Et si j’habitais là ? Je m’approche doucement. Quand je
vois la porte d’entrée de la maison que j’imaginais telle qu’elle deux secondes plus tôt, je sais que la mémoire commence à me revenir. Oui, je suis chez moi. Je sonne. Un homme vient m’ouvrir. D’une seconde à l’autre son visage passe du deuil à l’émerveillement.
- Mon Dieu !
Il me serre dans ses bras à m’étouffer.
- Ma femme est rentrée ! Elle est là ! crie-t-il.
  Les deux agents de police partis, je lui raconte ce que je sais, omettant de lui parler de cette femme étrange et de mon amnésie. Il semble bouleversé par mon récit.
- Mais qui t’a fait ça ?
- Je ne sais pas…j’ai l’esprit un peu confus. J’ai même du mal à me rappeler pourquoi je suis sortie hier soir.
Il semble surpris par ce que je viens de lui dire.
- Tu n’as pas l’air d’aller bien…
- Si, si ça va. Je suis encore sous le choc c’est tout chéri.
Le dernier mot est venu comme ça. Naturellement.
Il m’effleure le visage. Son toucher m’est agréable. Je sens que je suis proche de cet homme et qu’il est doux avec moi. Mais je ne le reconnais pas.
- Rappelle-moi ce que je t’ai dit en partant hier ?
- Tu m’as dit que tu allais rendre visite à une amie. Que vous ne vous étiez pas vu depuis longtemps et que vous auriez certainement beaucoup de choses à vous raconter. Quand je ne t’ai pas vu rentrer, j’ai prévenu la police. Qu’est-ce qui t’arrive ma chérie ?
- T’ai-je dit le nom de cette amie ?
- Non. Pourquoi ?
Que lui répondre ? La vérité ? Je ne m’en sentais pas la force.
- Je crois que je vais aller dormir un peu.
- D’accord…Mais je pense que tu devrais revoir un médecin. Faire une IRM du crâne. On ne sait jamais.
- Oui tu as raison. On va faire ça. Plus tard.
  Sans même m’en rendre compte je me dirige vers l’escalier. Je monte à l’étage. L’odeur de la chambre me fait tourner la tête. Je la reconnais. Je sais que je suis chez moi. Sur les murs, des tableaux, et des photos de moi et de mon mari. Dont une de notre mariage. J’ai l’air vraiment heureuse.
  Je me déshabille et je réalise soudain que je ne veux pas que mon mari voit mon pansement au bas ventre. Sous l’oreiller je trouve une nuisette en satin. Je l’enfile et me glisse sous les draps. Je reste ainsi les yeux ouverts à fixer le plafond et à me refaire le fil des événements dans ma tête. Quelques minutes plus tard, j’entends la voix de mon mari.
- Isabelle ? Tu veux manger quelque chose ?
Isabelle. L’image du tatouage sur mon épaule me revient brutalement à la mémoire. Un P et un H. Mais pas de I.



La suite lundi prochain...

1 commentaire:

Lune a dit…

ça accroche bien cette histoire !