lundi 11 novembre 2013

Interview de Christian Léourier Tome 2


Et voilà le tome 2 en place.
Pour lire ou relire le premier volet de cette interview c'est ICI





***********************************




Un jour j’ai rencontré l’inspiration. Je l’ai croisée par hasard, sur un chemin de montagne. J’ai dit :
Bonjour, l’inspiration ! Je suis drôlement content de vous voir !

Elle m’a répondu, plutôt sèche :

Tu devrais dire : « Je suis bien content ». Il vaut mieux éviter des adverbes de manière, ils alourdissent la phrase. Surtout s’ils introduisent une rime intérieure. Et puis, tu ne me « vois » pas, au sens strict du mot. Les montagnes, le lac qui paresse sous le soleil en déclin, voilà ce que tu vois. Moi, c’est autre chose. Sois donc un peu précis dans ton vocabulaire.

Pas très commode, l’inspiration ! Néanmoins, nous avons parcouru un bout de chemin ensemble. Je me suis enhardi à lui confier :

J’aimerais bien vous revoir. 

Oh, je suis très occupée, esquiva-t-elle.

Nous nous connaissions à peine, et déjà elle cherchait des excuses pour m’éviter. Feignant de ne pas m’en apercevoir, j’insistai.

Bon d’accord, j’essaierai, finit-elle par céder ; et afin de bien montrer que nos rapports s’envisageraient désormais sur un plan strictement professionnel, elle abandonna le tutoiement pour demander : quels sont vos horaires de travail ?


Mes horaires ?
Eh bien oui, vos horaires. Vous ne croyez tout de même pas que je vais surgir à l’improviste et me taper tout le boulot à votre place ?

Pourtant, aujourd'hui…

Aujourd'hui, c’est un peu particulier. Les vacances… Mais si vous voulez recevoir ma visite, il va falloir y mettre du vôtre. 

Je ne la voyais pas comme ça, l’inspiration. Je la croyais plus complaisante. Je le lui ai avoué. Elle a ricané et, redevenant familière, elle a précisé :

Ça, mon bonhomme, c’est du folklore. Si tu veux apprendre à écrire, il va falloir noircir du papier. Tout jeter. Réécrire. Jeter de nouveau. Réitérer autant de fois que nécessaire. Tu imagines un coureur qui s’alignerait au départ d’un marathon sans s’être préparé à l’épreuve ?

Voilà comment notre relation a débuté. Depuis, elle vient me visiter quelquefois. Oh, pas souvent. Le reste du temps, suivant son conseil, je m’entraîne.

En ce moment, je travaille sur un quatrième tome du cycle de Lanmeur, puisque, grâce aux éditions Ad Astra, une nouvelle génération de lecteurs peut déambuler dans cet univers. Mais cela ne m’empêchera pas de répondre à vos questions.



À bientôt, donc.



*****************************************************
Lune

Bonjour Christian,

J'ai lu récemment votre nouvelle parue dans le dernier Bifrost, Le Réveil des Hommes Blancs. J'ai vraiment beaucoup aimé, elle a un côté très humaniste à l'image de la plupart des histoires lanmeuriennes, qui s'oppose à un côté "administratif" et colonialiste.
Le court vous sied plutôt bien, envisageriez-vous d'écrire un recueil de nouvelles dans le cadre du cycle de Lanmeur ?

Merci en tous cas pour vos œuvres que je suis toujours certaine d'apprécier !



Christian:
Bonjour,

Voici, en réponse à Lune, quelques précisions sur mes rapports aux textes courts. Avec encore un scoop ! 

Merci pour ce compliment. J’aime bien les nouvelles, qui exigent de viser la concision sans pour autant tomber dans la sécheresse. Décrire un monde cohérent en une dizaine de pages est un exercice excitant. Un des textes dont je suis le plus fier tient en une page imprimée (Il s’intitule La Peau bleue ; on le trouve facilement en version intégrale sur internet, car il semble intéresser des enseignants – il figure aussi dans quelques manuels scolaires). J’ai publié environ quatre-vingts textes courts (nouvelles, contes, récits) mais mes nouvelles pour adultes n’ont pas jusqu’à présent été recueillie en volume.En ce qui concerne d’éventuelles « Nouvelles de Lanmeur », c’est prévu ! Xavier Dollo m’a proposé de publier un recueil sur le modèle des Nouvelles de Ta-Shima, d’Adriana Lorusso. Ce recueil, qui reprendra La Source, parue dans le numéro 65 de Bifrost, peut-être Le Réveil des hommes blancs si les deux dates de parution ne sont pas trop proches et trois ou quatre inédits, constituera une introduction à l’univers de Lanmeur pour ceux qui hésiteraient à se lancer dans la lecture d’un gros volume. La bande annonce, en quelque sorte. Il me reste juste à écrire les inédits en question…



Bonjour,



Je suis en pleine lecture du tome 3 de Lanmeur (sans avoir lu les précédents) et j'ai comme une impression de "déjà vu" qui serait à cheval entre Fondation d'Asimov et Le monde de l'Empire d'Asreth (dont la Volonté du Dragon) de Davoust (justement à cause de cette histoire de Rassemblement et des luttes qu'elle engendre).

J'aimerais donc savoir si vous avez des auteurs "fétiches" ou qui vous ont inspiré/inspire lors de l'écriture de vos récits. 





Christian:



Ah la difficile question des influences ! Soyons clair : non seulement je pense qu’un auteur n’est jamais complètement original, mais encore que toute la science-fiction résulte de la volonté d’ajouter sa variation à un thème traité par d’autres. H.G. Wells suffirait à lui tout seul pour établir le catalogue des hypothèses de départ.
J’ai nourri mon adolescence de tout ce qui se trouvait dans le genre sur le marché français. Les space opera du Fleuve Noir (jusque trois par jour), Ditis, Le Rayon fantastique (déjà relégué sur le marché de l’occasion), Présence du futur, les premiers J’ai Lu… Avec des préférences (Asimov, Heinlein, Simak, Sturgeon, Leinster, Farmer, Vance…) ; puis vint une génération nouvelle dans les années soixante-dix : Silverberg, Le Guin, Priest, Spinrad, Andrevon, Jeury…). Que toutes ces lectures m’aient formé, donc influencé, je le revendique. Et ceci pour rester dans le domaine, car j’ai aussi appris l’art du dialogue décalé chez Giono, la description chez Rosny, la concision chez César, le détournement du vocabulaire chez Brel, l’exigence chez Flaubert, etc.
Pour ce qui est des liens entre Lanmeur et Fondation, ils existent, naturellement ; le collège des annalistes ne désavouerait pas Seldon ; sinon que si l’Histoire, dans l’univers lanmeurien, est influençable, elle n’est pas prévisible : entre l’époque où Asimov écrivait Fondation et Ti-Harnog la théorie des catastrophe s’est imposée ; Asimov l’a-t-il pressenti en inventant le Mulet ?
Mon originalité tient surtout au fait que le Rassemblement n’est pas un empire, mais plutôt une sphère d’influence. La conquête lanmeurienne ne peut pas être armée : indépendamment de la motivation idéologique (ce sera l’un des thèmes du tome 4) une telle entreprise est impensable ; même si la technologie de Lanmeur lui confère une supériorité écrasante, une conquête militaire ne serait pas économiquement viable. D’où le rôle primordial des contacteur, dont le rôle est de déceler, puis manipuler les leviers qui permettront de faire basculer « volontairement », c’est-à-dire à moindres frais, les mondes découverts dans l’orbite de Lanmeur. Jusqu’au jour où… (ça, c’est le tome 3)
On peut aussi trouver des analogies entre Lanmeur et l’Ekumen d’Ursula Le Guin. Mais, dans ce cas, plus qu’une inspiration, je parlerais de convergence. Une anecdote à ce sujet : j’avais entrepris il y a bien des années la rédaction d’un roman fondé sur la relativité des valeurs morales. C’est à ce moment qu’est paru Les Dépossédés : le thème était traité d’une façon trop magistrale pour que je m’y attaque à mon tour, d’autant plus que le point de départ n’était guère différent (le mur de Berlin n’était pas étranger à cette inspiration commune : car il ne faut pas oublier que les auteurs de science-fiction traitent de thèmes contemporains ; il n’est donc pas étonnant que de telles convergences apparaissent. À propos, une puissance technologique – et commerciale – qui se serait lancée à la conquête des autres pays, ça ne vous rappelle pas quelque chose ?)
Pour en finir avec ces ressemblance, on peut aussi penser à la Culture, postérieure à Lanmeur (sans que Banks, j’en suis sûr, ait jamais entendu parler de celle-ci). Quant à Davoust, il devait avoir six ans au moment de la parution de Lanmeur.
À chacun, donc, sa partition autour de l’histoire du futur. Et la liste est loin d’être close, j'espère.

MarieJuliet :

Bonjour Christian,
Pour le moment je n'ai lu que le tome 1 de l'intégrale du cycle de Lanmeur. Les 3 récits présentent les populations autres que celle de Lanmeur, comme archaïques, reposant sur des systèmes de castes et de croyances en divers dieux. Est-ce le cas dans tous les romans ? Lanmeur serait la seule civilisation "développée"? (J'ai bien conscience que dans Ti Arnog quelques pistes sont données sur une autre civilisation mais c'est le seul point qui diverge).

J'en profite pour vous dire que j'ai été ravie de vous rencontrer lors des Dystopiales.



Christian :

Lanmeur est la première civilisation de son environnement à maîtriser le voyage spatial. Sa supériorité technologique est écrasante, ce qui lui permet de mener son entreprise avec un minimum de moyens. Bien entendu, elle sera peu à peu rattrapée : dans le volume 3 de l’intégrale, les « Rassemblés » commencent à débarquer sur Lanmeur. Une autre caractéristique des mondes lanmeuriens est leur cohérence : une seule civilisation par monde. Là encore, il existe une explication interne (que je ne dévoilerai pas ici, le coin du voile se soulève dans La Terre de promesse). Indépendamment des circonstances internes au récit, j’ai aussi une raison pratique d’avoir choisi ces deux options. Le principe du cycle est de confronter des modèles de fonctionnement sociétal, pour explorer une notion (l’amour, la mort, l’identité, la liberté…). Or, comme le dit si bien mon camarade Descartes, le mieux est de commencer par les objets les plus simples pour aller vers les plus complexes. Tel est le parti adopté par les anthropologues : pour essayer de comprendre les structures élémentaires des relations sociales et affiner leurs méthodes, ils se sont intéressés en premier lieu à des sociétés stabilisées, dont la lisibilité n’est pas brouillée par une superposition de systèmes (au temps de mes lointaines études, le structuralisme triomphait). Utiliser des sociétés dont l’organisation et le fonctionnement sont immédiatement appréhensibles (au passage, je conteste le terme archaïque, même si ce sont des sociétés généralement non-industrielles ; l’absence d’exécutif chez les Harnogéens, par exemple, suppose au contraire un degré d’évolution politique et morale que Lanmeur n’a pas encore atteint – et nous non plus) me permet donc de boucler plus aisément mon propos. Ce qui ne veut pas dire que jamais un roman lanmeurien ne décrira une société industrielle ou post-industrielle.

Crunches :

Bonjour et bienvenue (15 jours après, mais c'est l'intention qui compte, n'est-ce pas ?)

Bon, j'avoue. J'avoue tout. Je ne connais pas vos livres, je n'en ai jamais lu et je n'en ai pas dans ma pile à lire. Alors, de tous les livres que vous avez écrits, lequel me conseillerez-vous et pourquoi ?

et ensuite, vient la question la plus importante de votre carrière (si, si, je vous jure !). Vous êtes prêt ? Parce que c'est une question qui demande réflexion !!! A la limite, faites une pause, respirer un grand coup et continuez votre lecture après avoir fait quelques exercices de relaxation....

Quel est votre bonbon/chocolat préféré ?

Comme cette question est assez complexe, je vous permets de réfléchir quelques instants avant d'y répondre (je suis dans un bon jour !) et demande aux autres internautes de ne pas être trop vaches dans les questions qui vont suivre ! Merci !!

Bonne soirée


Christian :

Il est toujours difficile pour un auteur de conseiller tel titre plutôt que tel autre. Car cela supposerait de connaître les aspirations du lecteur, lesquelles sont diverses. Ti-Harnog est une bonne initiation à l’univers lanmeurien – outre qu’il expose la situation et le projet de Lanmeur, le roman développe la thématique de la métamorphose qui traverse tout le cycle. Cependant, n’importe quel titre des deux premiers volumes de l’intégrale peut être lu indépendamment des autres ; c’est moins vrai du troisième, pour lequel une connaissance du contexte lanmeurien est utile. Vous pouvez aussi aller voir du côté des romans pour la jeunesse : L’Arbre-miroir regroupe mes thématiques préférées ; Mauvais rêves est plus « contemporain ».

En ce qui concerne les chocolats, je me refuse à me limiter à un seul modèle : du moment qu’il est noir et bon, je suis amateur. J’ai plutôt tendance à adopter en la matière – en gastronomie en général – un comportement exploratoire.

8 commentaires:

Lune a dit…

Merci Christian pour cette réponse ! La nouvelle est assurément un exercice difficile pour l'auteur. Je vais lire la Peau bleue si je la trouve, et j'ai hâte de lire ce futur recueil chez Ad Astra !

Snow a dit…

Bonjour,

Je suis en pleine lecture du tome 3 de Lanmeur (sans avoir lu les précédents) et j'ai comme une impression de "déjà vu" qui serait à cheval entre Fondation d'Asimov et Le monde de l'Empire d'Asreth (dont la Volonté du Dragon) de Davoust (justement à cause de cette histoire de Rassemblement et des luttes qu'elle engendre).
J'aimerais donc savoir si vous avez des auteurs "fétiches" ou qui vous ont inspiré/inspire lors de l'écriture de vos récits.

Mariejuliet a dit…

Bonjour Christian,
Pour le moment je n'ai lu que le tome 1 de l'intégrale du cycle de Lanmeur. Les 3 récits présentent les populations autres que celle de Lanmeur, comme archaïques, reposant sur des systèmes de castes et de croyances en divers dieux. Est-ce le cas dans tous les romans ? Lanmeur serait la seule civilisation "développée"? (J'ai bien conscience que dans Ti Arnog quelques pistes sont données sur une autre civilisation mais c'est le seul point qui diverge).
J'en profite pour vous dire que j'ai été ravie de vous rencontrer lors des Dystopiales.

Crunches a dit…

Merci pour ces précisions ! Je vais mettre ces titres dans mon pense bête !!!


(Excellent choix, le chocolat noir ;) !!!)

Mariejuliet a dit…

Oui c'est sûr que archaïque n'était pas le bon terme. Merci en tout cas pour toutes vos explications qui sont passionnantes.

Unknown a dit…

Bonjour Christian,
Je suis en train de lire votre interview figurant à la fin de l'intégrale 1 du cycle de Lanmeur. Cette interview, recueillie par Xavier Dollo, n'est malheureusement pas datée. Un passage m'interpelle vivement : "Ce qui m'inquiète, c'est la régression de la SF par rapport au fantastique. Comme si les lecteurs n'avaient plus envie de réfléchir. Le fantastique est la littérature de la soumission à l'étrangeté du monde, la SF celle de la rébellion."
Pardonnez-moi, mais si je suis d'accord pour dire que la SF n'est plus une lecture à la mode, je ne vous suis pas lorsque vous affirmer que le fantastique (et/ou la fantasy) ne font pas réfléchir. Bien que les thèmes soient abordés différemment, ils restent similaires. Plus d'une fois j'ai reposé un récit Fantastique/Fantasy en y songeant toute la nuit tant le sujet m'avait interpellée.

En lisant le cycle de Lanmeur (l'intégrale 1, je n'ai pas encore lu les suites), je pensais me plonger dans une histoire purement SF. Hors je me suis au final confrontée à des mondes proches du médiéval fantastique, avec leurs coutumes et croyances ancestrales (surtout Ti-Harnog). Le tout bien sûr avec un fond de SF, mais Lanmeur et le Rassemblement restants "inaccessibles", le côté SF n'est pas ce qui m'a marqué.

J'ai toutefois grandement apprécié ma lecture ! ;-)

Dup a dit…

Bonjour Christian.
Je vais revenir sur Ti-Arnog et vos artwenirs, la zoologie étant un peu mon domaine.
Voilà ce que j'en avais dit lors de ma chronique : " Et j'oubliais les fameux artwenirs, les "chevaux" de Ti-Harnog, au singulier un artwen. Imaginez une autruche croisée avec une baleine... ben oui, elles ont des fanons ces artwenirs ! Puis un chapitre plus loin on apprend qu'elles ont un cou reptilien !! Et quelques pages plus loin, qu'elles ont des crocs bien acérés alors qu'on sait que ce sont des herbivores qui broutent l'herbe... et que l'on traie tous les jours, bon. Mais quand l'auteur lui rajoute un bec falciforme alors là, moi je décroche. "

C'est la première fois que ma visualisation de l'imaginaire d'un auteur est dépassée. Et je n'étais pas la seule, c'était une lecture commune et toutes, nous nous étions fait la même réflexion ! Habituellement, dans les lectures de l'imaginaire, Fantasy et SF, les espèces inventées, qu'elles soient humanoïdes, êtres pensants non humanoïdes, animales ou végétales, suivent quand même un minimum les lois "darwinesques" non ? Qu'avez-vous voulu créer avec cette bestiole ?
Est-ce qu'un illustrateur s'est déjà amusé à dessiner un artwen ?

Dup a dit…

Et d'ailleurs, avec un H à Ti-Harnog, ce sera beaucoup plus mieux, oops !