jeudi 28 novembre 2013

Interview de Christian Léourier tome 4





Et voilà le tome 4 en route.
Pour lire ou relire les deux premiers volets de cette interview c'est ICI et LA et encore LA.





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Un jour j’ai rencontré l’inspiration. Je l’ai croisée par hasard, sur un chemin de montagne. J’ai dit :
Bonjour, l’inspiration ! Je suis drôlement content de vous voir !

Elle m’a répondu, plutôt sèche :

Tu devrais dire : « Je suis bien content ». Il vaut mieux éviter des adverbes de manière, ils alourdissent la phrase. Surtout s’ils introduisent une rime intérieure. Et puis, tu ne me « vois » pas, au sens strict du mot. Les montagnes, le lac qui paresse sous le soleil en déclin, voilà ce que tu vois. Moi, c’est autre chose. Sois donc un peu précis dans ton vocabulaire.

Pas très commode, l’inspiration ! Néanmoins, nous avons parcouru un bout de chemin ensemble. Je me suis enhardi à lui confier :

J’aimerais bien vous revoir. 

Oh, je suis très occupée, esquiva-t-elle.

Nous nous connaissions à peine, et déjà elle cherchait des excuses pour m’éviter. Feignant de ne pas m’en apercevoir, j’insistai.

Bon d’accord, j’essaierai, finit-elle par céder ; et afin de bien montrer que nos rapports s’envisageraient désormais sur un plan strictement professionnel, elle abandonna le tutoiement pour demander : quels sont vos horaires de travail ?


Mes horaires ?
Eh bien oui, vos horaires. Vous ne croyez tout de même pas que je vais surgir à l’improviste et me taper tout le boulot à votre place ?

Pourtant, aujourd'hui…

Aujourd'hui, c’est un peu particulier. Les vacances… Mais si vous voulez recevoir ma visite, il va falloir y mettre du vôtre. 

Je ne la voyais pas comme ça, l’inspiration. Je la croyais plus complaisante. Je le lui ai avoué. Elle a ricané et, redevenant familière, elle a précisé :

Ça, mon bonhomme, c’est du folklore. Si tu veux apprendre à écrire, il va falloir noircir du papier. Tout jeter. Réécrire. Jeter de nouveau. Réitérer autant de fois que nécessaire. Tu imagines un coureur qui s’alignerait au départ d’un marathon sans s’être préparé à l’épreuve ?

Voilà comment notre relation a débuté. Depuis, elle vient me visiter quelquefois. Oh, pas souvent. Le reste du temps, suivant son conseil, je m’entraîne.

En ce moment, je travaille sur un quatrième tome du cycle de Lanmeur, puisque, grâce aux éditions Ad Astra, une nouvelle génération de lecteurs peut déambuler dans cet univers. Mais cela ne m’empêchera pas de répondre à vos questions.



À bientôt, donc.



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Moi, j'ai une question : tu parlais de personnages féminins et de mon côté j'avais été impressionné par ton roman chez Mango, Mission Brume, et le personnage dYgerne (on en revient toujours à la celtitude^^). Peux-tu nous dire ce qui t'a donné l'idée bien particulière de ce roman, de cette planète perpétuellement dans la Brume ? 



Christian:



Nombre de mes romans ont été inspirés, tout ou partie, par la vision d’un paysage. Dans le cas de Mission Brume, c’est le contraire qui s’est produit.Mission Brume, comme le roman qui a suivi dans la collection, Mauvais rêves, est une réaction contre la montée des extrêmes droites en Europe en général, en France en particulier (Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle, cela méritait une réaction, si j’ose dire). Je voulais montrer trois facettes de cet extrémisme : l’autoritarisme politique, la manipulation rampante des esprits, à la Berlusconi, et dans un troisième roman non écrit en raison des difficultés que Denis Guiot, le directeur de collection, a connues avec l’éditeur à propos d’un manuscrit sur un thème proche, le dogmatisme religieux.Dans Mission Brume, mon propos était de décrire comment une jeune femme formatée par l’embrigadement bascule du dogmatisme dans le doute et le relativisme. Là est intervenue ma mythologie personnelle. Je suis fasciné par les marécages, où l’eau, la terre et le ciel se confondent pour créer un écosystème singulier. Et par la brume, évidemment, née des épousailles de l’air et de l’eau. Je me souviens d’une expérience forte : voir des lambeaux de brume surgir entre les racines des arbres de la forêt de Paimpont et se mettre à ramper sur le sol. J’étais en présence d’un phénomène physique, parfaitement explicable, mais j’ai éprouvé ce jour-là l’impression d’avoir été admis à assister à un grand mystère de la forêt. La brume transforme les paysages. Elle dissimule, mais elle révèle aussi en isolant certains détails autrement confondus avec l’arrière-plan (ce phénomène est particulièrement sensible en montagne). Fluctuante, elle est le domaine du mouvant, de la déformation de l’apparence. Elle est vitale, en ce qu’elle nourrit les feuillages d’humidité. Comme elle peut être mortelle en égarant le voyageur imprudent. Marécages et brume se sont donc imposés comme une métaphore pour l’effritement des certitudes de mon personnage. De plus, compte tenu du caractère particulier de la planète (qu’on me permettra de ne pas dévoiler ici), sa surface ne pouvait se présenter sous un jour trop minéral.Mission Brume n’est pas le seul de mes romans où le marécage et le brouillard jouent un rôle. Plus généralement, les éléments naturels interviennent dans mes histoires non seulement comme cadre de l’action, mais souvent comme de véritables protagonistes, parce que je crois qu’ils sont déterminants dans notre vision du monde, et donc notre façon de vivre. Comment un caravanier arabe et un indien d’Amazonie pourraient-ils avoir une même conception de l’espace ?

Le nom même d’Ygerne renvoie à la métamorphose, puisque dans le cycle arthurien, celle qui deviendra la mère d’Arthur s’unit à un Uther qui a changé son apparence pour l’approcher. Ce personnage a d’ailleurs été l’un des plus difficiles à construire : embrigadée, fascisée, elle ne pouvait être présentée sous un jour favorable et néanmoins le lecteur devait s’y attacher. J’espère que les failles qui apparaissent peu à peu sous l’action de Brume – qui joue ici pleinement son rôle de révélateur – y contribuent.




Merci pour votre réponse, me voilà décidément bien convaincue!
Une autre question, puisqu'on évoquait encore "la celtitude" : Persval qui part à la recherche d'un artefact sous les ordres de Lanmeur trouve-t-il bien son origine dans le Perceval du mythe arthurien, qui part à la recherche du Graal, ou est-ce que j'extrapole? ^^ 




Christian:



Non, bien sûr. Persval n’est d’ailleurs pas le seul personnage lanmeurien à porter un nom aussi transparent. Pour ne rien dire du titre du roman qui clôt le cycle. La légende arthurienne, comme l’Odyssée, sont des textes que chaque époque réinterprètent. C’est par la science-fiction que j’y suis venu. Je trouvais en effet ici et là dans la S.F. anglo-saxonne des allusions qui m’ont donné envie de remonter aux sources. Pour faire le lien avec la question précédente, la mythologie celtique (j’ai publié chez Nathan un Contes et légendes consacré à ce thème) me convient assez, par la vision mouvante du monde qu’elle offre : il y a toujours un au-delà des apparences, une impermanence ; le monde n’est pas donné, il est à découvrir. La faute de Perceval est de n’avoir pas posé de questions, ce qui aurait mis un terme au chaos dont souffre le gaste pays. Faute, car le monde doit être un questionnement perpétuel, la certitude au mieux un état provisoire. La roue des fortunes royales n’a jamais fini de tourner. Persval, lui, moins paralysé par son ignorance que ne l’est le Gallois, pose des questions. Peut-être pas les bonnes. Mais Innid est là pour, sinon lui répondre, au moins lui indiquer le chemin. Pas le guider jusqu’au terme, car cela est impossible puisque les rivages de la terre de promesse ne s’atteignent qu’au terme de l’expérience ultime.




Jae_Lou 

Bonjour :) J'ai trouvé ma question ! (*petite victoire personnelle*)
Après avoir parlé d'inspiration et de top 20, une question peut-être encore plus difficile : y a-t-il un auteur (français ou non) avec qui vous aimeriez travailler sur un projet d'écriture (que ce soit un roman à 4 mains ou une adaptation BD) ? Et pourquoi ? (oui OK ça fait 2 questions ^^)

Je suis impatiente de lire le recueil de nouvelles sur Lanmeur car je trouve que vous excellez dans cette pratique 



Christian:


À la charnière des années 80 et 90, j’ai participé à une entreprise collective lancée par Christian Grenier réunissant vingt auteurs pour la jeunesse. Il s’agissait de retracer, en autant de romans autonomes mais qui se répondaient les uns aux autres, l’histoire du XXe siècle. L’aspect le plus intéressant du projet, que nous désignions sous le nom de Saga et qui parut sous le titre générique de Les Couleurs d’un siècle, était que chacun des participants était invité à corriger le manuscrit des dix-neuf autres. J’ai bien aimé cette aventure. Je ne suis donc pas réfractaire à une expérience d’écriture collective, même si l’écriture est plutôt une pratique solitaire. Quant à désigner un(e) auteur(e)… Je préfère dire que je suis ouvert à toutes les propositions. De même pour une BD. Là, pour le coup, une collaboration serait indispensable, car si je m’essayerais volontiers au scénario et au découpage, je n’ai malheureusement pas la main pour le dessin.




Phooka

Mince, 2 questions que j'ai oublié de vous poser. J'ai encore le temps ?

1/ Comment s'est passé la publication de votre premier texte. Est-ce que ça a été facile ou au contraire "le parcours du combattant" ?


Christian:




J’avais dans l’idée d’écrire un roman de S.F. Mais comment être publié ? Il fallait sans doute avoir des relations, fréquenter le milieu littéraire… Moi qui n’étais pas très mondain (et ça ne s’est pas arrangé depuis), je me sentais à l’avance découragé. Et puis j’ai bénéficié d’un heureux enchaînement. Ce n’est pas moi qui ai proposé mon premier manuscrit à un éditeur ! Ce texte n’était pas un roman mais… mon mémoire de maîtrise, consacré à une question que le monde entier se pose avec angoisse : peut-on scientifiquement étudier un événement passé et par définition non expérimentable puisque unique tel que l’origine de la vie ? Jacques Merleau-Ponty, qui le dirigeait, avait promis un livre à Jean-François Revel qui, lui, dirigeait chez Laffont la collection Science nouvelle. Comme il tardait à le livrer, il lui donna mon mémoire pour le faire patienter. Deux mois plus tard, le livre était en librairie. J’avais donc désormais mes entrées chez Robert Laffont, qui justement inscrivait depuis quelques mois dans son catalogue la collection Ailleurs et Demain. Je consacrai les vacances suivantes à écrire Les Montagnes du soleil, et (avec une belle inconscience quand on songe aux pointures qu’il avait l’habitude de publier), je le proposai à Gérard Klein, qui l’accepta. Quant à la littérature pour la jeunesse, c’est Hachette qui m’a contacté : cet éditeur cherchait des textes de science-fiction pour une nouvelle collection.
Facile est donc un mot e faible pour résumer mes débuts. Aurais-je persévéré si les fées ne s’étaient pas ainsi penchées sur mon berceau ? Difficile à dire. En tout cas, je ne conçois pas d’écrire sans savoir qu’il y aura des lecteurs, par conséquent la publication est une nécessité.

2/ Ma question fétiche que je pose à chaque Mois de (j'ai failli oublié, catastrophe !!)Quel est LE livre que vous auriez aimé écrire?


Il y en a beaucoup. Mais s’il faut en choisir un seul, disons Moby Dick. Ce livre me suit depuis longtemps, pourtant je ne cesse de découvrir. Prenez la première phrase. Le personnage se présente. Or, il ne dit pas : je m’appelle Ismaël, mais : Appelez-moi Ismaël. Quelle rouerie ! Le lecteur est piégé : trois mots suffisent à suggérer un mystère. On ne sait pas si Ismaël est son vrai nom ou si le narrateur se cache derrière un pseudonyme (Pourquoi ?). À moins qu’il s’agisse d’une allusion au fils évincé ? Et la façon qu’a Melville d’amener Achab ! Quelle leçon !







Encore merci pour ce Mois de passionnant !

3 commentaires:

Dup a dit…

Et bien, je sais maintenant qu'il faut que je me procure ce Mission Brume !

Mariejuliet a dit…

Moi aussi et 'une manière générale, les écris de Christian Léourier. Je n'ai plus de question en tête mais j'adore lire les réponses.

Phooka a dit…

Mince, 2 questions que j'ai oublié de vous poser. J'ai encore le temps ?

1/ Comment s'est passé la publication de votre premier texte. Est-ce que ça a été facile ou au contraire "le parcours du combattant" ?

2/ Ma question fétiche que je pose à chaque Mois de (j'ai failli oublié, catastrophe !!)
Quel est LE livre que vous auriez aimé écrire?

Encore merci pour ce Mois de passionnant