vendredi 24 septembre 2021

Sixième page de l'ITV de RAPHAËL BARDAS

 

À LIRE OU À RELIRE !







— Comment qu’vous disez ? grommela mollement la Morue.
— Barre d’As ! sursauta Silas. Je crois qu’on parle du surnom de ma…
— Teu teu teu ! protesta Rossignol en gonflant son accordéon dans un vacarme qui empêcha Silas de terminer sa phrase.
Ils le regardèrent, se demandant bien ce que le musicien bavard allait encore inventer pour les baratiner et leur refourguer l’addition.
— Bardas ! s’exclama-t-il enfin. Raphaël Bardas ! L’homme qui se prétend écrivain et qui a fait de nous ses jouets quelques mésaventures durant.
— Mouaif, soupira la Morue. Jamais entendu parler.
— Un auteur de théâtre ? tenta Silas. Ce nom ne m’est pas complètement étranger, et je ne sais pourquoi, mais il m’évoque la presqu’île de Dados Rojos, ses vins trop forts et ses siestes crapu...
— Non Silas ! Quand cesseras-tu de ne penser qu’à…
— Qu’à ?
— Ce n’est pas vraiment le moment de parler d’amour mon tout beau. Alors non. Non, ou plutôt juste un peu oui, mais pas aussi exactement que ton joli ciboulot pourrait l’imaginer Silas. Le Bardas, c’est le sale type qui, depuis son monde à lui, nous trimbale de rade et rade, et port en port, et de mort en mort…
— Et de couche en couche !
— Oui ! Amis, oui !
— Et d’castagne en castagne ?
— Oui Morue, le Bardas, dans son monde, il est écrivain. Il a écrit des caisses et des caisses de livres à jouer, avec des amis, des jeux de rôles comme on dit là-bas. Parce qu’il a rien contre un peu de convivialité et une bonne histoire à vivre à plusieurs, pour peu qu’il y ait du claquos, de la vinasse et du sauciflard… et ce qu’il aime, en plus de raconter des histoires de copains, c’est nous les faire vivre à nous. C’est comme ça qu’un jour il a fait de nous les Chevaliers du Tintamarre et qu’il nous a embarqués dans le Voyages des Âmes cabossées. Mais bien avant ça, il s’est fourvoyé avec des gars comme le Gaborit ou le Granier de Cassagnac, et bien d’autres comme eux. Il a traîné ses guêtres d’auteur dans les Royaumes Crépusculaires ou encore sur Cosme, avant de se mettre à co-inventer ses propres univers. Amnesya 2K51, Venzia, Retrofutur !
—D’la confiture ?
— Non, Morue, mais ce qu’il invente parfois se voudrait tout aussi sucré… Capharnaüm, et le tout petit roman qui en fut tiré, Aux traîtres indomptables, du sucre, du miel, des épices et tellement de soleil ! Nul doute que c’est un peu ces amours là, ces univers qui le hantent, qui l’ont poussé à nous faire vivre ce qu’il nous a fait vivre.
— Ou mourir !
— Ou mourir oui… d’ailleurs, j’ai fini mon cruchon, qui qui paye la douloureuse ?
— Ce soir c’est Bardas les gars, c’est Bardas qui paye l’addition ! Hein Rossi, j’ai bon ?
— On dit « Qui régale » ! faut tout qu’j’vous apprende.
— C’est Bardas qui régale ? Rien n’est moins sûr les amis !


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Ramettes :

Bonjour,
Le temps de lire le tome1 et c'est déjà là page 5 ! J'espère que ma question ne fait pas doublons.
Ce qui a accroché mon attention au départ c'est le langage assez fleuri qui donne le ton à l'histoire. Est-ce que tu disais les répliques à voix haute pour avoir les bonnes sonorités ? Quelqu'un te connais la réplique ? Est-ce que tu imaginais la tête de tes lecteurs en train de les lire ?
Je suppose que ta formation "théâtre" a du te servir


Eh oui, page 5... et qui sait, si je suis assez bavard sur ta question, peut-être arriverons-nous à la page 6 dans la journée ! :)

Le langage donc ! oui... c'est un gros travail oral en fait. J'écris parfois quasiment à voix haute, surtout pour les dialogues. Comme je l'ai dit dans une précédente réponse, lorsque je suis en phase d'écriture, je me nourris de quelques auteurs de théâtres et de quelques paroliers qui peuplent mon univers linguistique et lexical. Parfois, quand j'écoute par hasard la Rue Kétanou ou Jacques Brel, je me dis :" putain, tu leurs doit des droits d'auteur en fait !". Je leur ai tout piqué XD. Réécoutez Amsterdam, Jef et ces Gens-là de Brel, puis Almarita, Les Cigales, l'Oiseau sans plume, les hommes que j'aime, Ma faute à toi et Elle est belle de la Rue Kétanou, et vous aurez l'impression d'être soit au Tintamarre, soit chez la mère "à" la Morue.

Je crois que tu me demandes si quelqu'un me donnait la réplique. La réponse est non, en revanche je relis tout à voix haute une première fois pour retravailler les rythmes, aussi bien dans la narration que dans les dialogues. Je réécris certaines choses quand je trouve que cela ne sonne pas bien une fois oralisé. J'ai un couple d'amis qui s'est amusé à lire le livre à deux et à voix hautes. Ils faisaient le narrateur chacun à leur tour et se répartissaient les personnages.

En revanche non, je n'imaginais pas les lecteurs, je n'avais même pas la moindre idée de qui pourraient être ceux qui me liraient. Lors de l'écriture du Voyage des âmes cabossées j'y ai davantage pensé car j'avais déjà eu quelques retours, certains négatifs et d'autres carrément outrés par le ton du livre, la personnalité des personnages, la crasse ambiante et le monde viril et machiste que je dépeins (et dont je me moque d'ailleurs, mais cela tout le monde de l'a pas compris semble-t-il). Et donc, en travaillant sur le Voyage, il y a des trucs que j'écrivais et dont je me disais :"oh putain, tu vas de te faire défoncer !" Mais dans tous les cas je n'en tiens pas compte, je ne veux pas dénaturer le projet à cause de cela. Ce qui m'amuse, c'est les amis de longue date qui me disent :" mais en fait, Rossignol, c'est moi ? C'est ça ? c'est de moi que tu t'es inspiré ?". C'est marrant parce qu'il y a ceux qui se reconnaissent en Silas et ceux qui se reconnaissent en Rossignol. Tout le monde préfère la Morue, mais personne ne veut être ce personnages là ! :)

Et pour finir, oui, ma formation théâtrale a joué, aussi bien par ses aspects textuels et l'influence de certains classiques sur ce que j'écris, que par des aspects techniques issus essentiellement de l'improvisation théâtrale. J'ai fait beaucoup d'impro (et animé des milliers d'heures de parties de JDR aussi et je crois bien que ça va dans le même pot à la fin), et j'en ai gardé un sens de la répartie et de "la digression qui retombe quand même sur ses pieds à la fin", qui intervient beaucoup dans mes dialogues. Je déteste les dialogues factuels du type :

- Bonjour.
- Bonjour.
- Ca va ?
- Oui et toi ?
...

Dès fois je vois ça dans des bouquins et je ne comprends pas pourquoi les auteurs écrivent ça. Moi je veux que mes personnages prennent la parole pour une bonne raison. il faut que ça serve le récit ou que ça apporte une idée de l'univers dans lequel on évolue. Et si c'est pour dire de la merde, ben allons-y carrément ! Par conséquent, si je sens que mon dialogue se sert à rien ou qu'il ne mène à rien, je vais le détourner parce que je m'ennuie et que je veux en faire quelque chose.

- Le bonjour ! brailla Silas.
- Le bonjour ! répondirent en cœur les deux autres malotrus, la bouche aussi pleine que leurs pensées avaient été vides jusqu'à cet instant.
- Comment allez-vous ce matin ? continua joyeusement le charcutier en tirant une chaise pour s'assoir.
- Je n'y suis pas encore allé ce matin, s'attrista alors Rossignol, sans doute que madame la maman de Morue n'avait pas bien rincé ses patates !
- Moi trois fois ! s'exclama alors le poissonnier, et b'entôt quat', l'est presque midi...
- Plaît-il ? je ne comprends pas bien ce dont vous voulez m'entretenir.
- Nous t'entretenons, d'étrons, de colombins et de louises luisantes mon tout beau. En un mot :
- De merde ! éclata la Morue.
Silas prit un air circonspect, Alors Rossignol vint à son aide.
- Silas, depuis quand n'es-tu pas allé à la rencontre de l'un de ces bourgeois obséquieux que l'on nomme médecins ?
- Je ne vois pas le rapport ...
- Quand le médecin, par un savant détour pudique, te demande à la première poignée de main si "ça va", il veut juste savoir si tu vas bien...
- Aux chiottes !
- Voilà, merci Morue. C'est de là mon ami que vient cette expression que tu emploies à tort et à travers.
- Bien bien, chevaliers, j'espérais plutôt que nous pourrions parler d'un nouveau mystère qui secoue la Rade et partir à l'aventure.
- R'vient au même, râla la Morue.
- Mais quoi donc ?
-T'es v'nu nous faire chier !

Voilà. Quitte à faire un dialogue vide, je vais laisser les personnages prendre le volant et parler un peu de ce qui les intéresse, à savoir leurs fonctions vitales.
Bien entendu là je m'auto-caricature, mais on n'en est pas loin :)
Et l'expression serait effectivement un raccourci pour "comment allez-vous à la selle"... alors tout le monde en sort instruit :)



Fantasy à la carte :


Bonjour, c'est toute la richesse d'être édité, de pouvoir travailler main dans la main avec un professionnel qui t'encadre et te remet sur la voie. En tout cas, c'est du bon boulot. Finalement pour toi faire rire son lecteur ne pose aucun problème et ça c'est indéniablement un point fort. Sinon comment prends tu les critiques quand elles sont un peu négatives ?


Oui, être édité, et avoir cette relation avec un éditeur est bon pour le livre, mais aussi pour l'auteur, on progresse à chaque fois. Aussi, on parler d'œuvre de l'esprit, et il me semble très important d'avoir un ou des contradicteurs, ne serait-ce que pour éprouver la solidité d'une idée ou d'un propos.

Les critiques négatives ? Comment je les prends ? Mal. Toujours. C'est une horreur.
Mais je pars toujours du principe que ces gens ont raison. Ils n'ont pas trouvé ce qu'ils pensaient trouver, ils sont déçus, ils ont raison. Ils ont trouvé des choses qu'ils ne voulaient pas trouver, ils sont choqués, blessés, déçus, en colère... ils ont raison.

Mais moi je ne changerai rien malgré tout car mon travail est tel que je voulais qu'il soit et que je ne souhaite pas l'adapter à telle ou telle sensibilité. Écrire un livre, ce n'est pas juste raconter une histoire, c'est aussi manipuler des idées et des concepts. L'écrivain a cette responsabilité. En revanche s'il se fait péter les dents il faut qu'il assume.
Deux choses ont été particulièrement difficile pour moi :

- Des retours de lecteurs restés au premier degré, qui ont vu une apologie de l'homme viril et sans limites au milieu d'une horde de prostituées, de mères et de femmes en détresse. Quand j'ai ce genre de retour je suis blessé car je me dis que j'ai vraiment raté mon travail sur les instances narratives.

- Des retours de gens blessés par certaines des idées véhiculées dans mes textes. J'aime secouer un peu certaines représentations du monde, mais je ne souhaite pas blesser les gens. Après, ces retours là ont été très minoritaires, et ils relèvent de ce que ces gens ont projeté sur le livre en fonction de leur propre passé, de leur vécu et de leurs blessures. Leur prisme à eux donne un autre sens à mes scènes, j'en suis désolé, je ne voulais blesser personne.

Encore une fois, quelle que soit la critique, j'estime qu'elle est recevable, que son auteur à raison, car elle relève de sa relation propre avec l'œuvre. Il n'y a pas de perception absolue d'une œuvre, c'est le lecteur qui en fait quelque chose. C'est plus compliqué quand ça devient un procès d'intention. On m'a parlé d'apologie du viol dans la relation Silas-Alessa par exemple. Je n'ai toujours pas compris. Mais comme il m'arrive d'être maladroit et un peu con, je mange ma tartine et laisse passer l'orage... le lecteur a toujours raison, même si on a l'impression qu'il est à côté de la plaque. Et je ne dis pas ça par politesse : son vécu, sa sensibilité, sa relation à l'oeuvre. Et nous auteur on doit vivre avec. On a sorti un truc de notre ventre, on l'a livré au public, cela ne nous appartient plus.



Olivier :

Merci de ces dialogues bien construits entre nos trois chevaliers....lol et si par malheur tu n'avais pas été publié....tu continuerais à écrire ...pour ton simple plaisir ? par nécessité ? pour Mme ?
À plus...

Je crois que j'écrirais quand-même. Je suis un forcené, et un incorrigible optimiste. J'ai continué pendant des années malgré les refus, ou mes propres difficultés à mener les projets jusqu'au bout (forcené, mais aussi girouette... le genre qui s'obstine à changer d'envies).

Aussi, je suis très attaché au circuit du livre et ne suis pas du tout prêt à faire le pas de l'autoédition, alors je pense que je produirais et produirais encore, gardant sous le coude mes livres en devenir, dès fois, qu'un jour, un éditeur s'y intéresse.

J'aimerais réussir un jour à publier des romans dans d'autres domaines que l'imaginaire, mais pour le moment je n'arrive à boucler aucun de ces projets-là. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être un jour...


Fantasy à la carte :

Effectivement, certains vont loin dans leur interprétation. Comme tes héros sont parfois sans filtre, je me demandais comment ils avaient été accueillis à la sortie du tome 1. D'ailleurs, le fait d'avoir été édité comme pépite de l'imaginaire pour Les chevaliers du tintamarre et faire partie de la rentrée de la fantasy pour Le voyage des âmes cabossées, est ce que cela a été un plus, en apportant plus de visibilité en librairie par exemple ?


Concernant l'interprétation qui peut aller au-delà de ce que j'ai écrit ou voulu écrire, je trouve malgré tout que c'est salutaire. Cela prouve qu'il se passe quelque chose, qu'on a quelque chose à dire. Je préfère même une mauvaise critique détaillée, même si j'ai l'impression qu'elle est à côté de la plaque, plutôt que l'indifférence totale. Il n'y a rien de pire que quelqu'un qui te dit : "ok, c'était sympa", ou "ça m'a fait penser à untel, mais en moins approfondi..."

Il y a pas longtemps, une correspondante de presse locale, que je fréquente un peu, elle même autrice de romans de littérature générale au Lys Bleu, m'a dit : "pas la peine de m'envoyer le second, je vais te faire l'article comme ça, j'ai rien compris au premier, j'ai pas pu rentrer dedans, mon mari non plus d'ailleurs, il ne se passe rien, les personnages ne font rien, on n'arrive pas à se représenter la ville, etc.". Par chance, elle a rédigé son article en allant se documenter sur les réseaux, notamment Babelio, et au final c'était très positif.

Au sujet de la sortie en "pépites de l'imaginaire" ou "rentrée de la fantasy", je ne sais pas trop quoi te répondre. N'ayant jamais publié autrement que sous ces deux opérations je n'ai pas d'éléments de comparaison. J'imagine que chez les libraires qui suivent ces opérations les livres sont bien mis en avant et que cela booste un peu les ventes. Ce qui nous fait vraiment du bien en termes de ventes, ce sont les notations sur Amazon, la Fnac, Cultura. Si vous voulez soutenir un auteur, allez mettre une petite évaluation sur ces plateformes, même si vous n'achetez jamais chez elles. Gagner en visibilité sur ces sites nous fait monter dans les moteurs de recherche et nous permet même d'entrer dans les suggestions d'achat. Et puis bien entendu il y a Babelio, Booknode, Goodreads, etc. En imaginaire, surtout pour un auteur français, il est difficile d'attirer l'attention, et tous les acteurs du marché n'ont pas les moyens publicitaires d'un Albin Michel ou d'un Hachette (exemples donnés plus ou moins au hasard, nul besoin de me faire un procès :p). Aussi, il faut savoir que c'est toujours une prise de risque pour un libraire indépendant et généraliste que de mettre dans ses rayons des auteurs inconnus d'un genre tourné vers un lectorat qui n'est pas leur cœur de cible. Il est donc important pour nous, petits auteurs dans la cours de grands, d'être soutenus sur la toile par des lecteurs actifs. Et puis, ça peut aussi éviter des accidents de parcours comme par exemple Leclerc Culture qui classe le Voyage des âmes cabossées en jeunesse XD

Je dis ça sans démagogie : vous, qui êtes ici, et sur vos blogs, et sur babelio et consorts, vous êtes extrêmement importants pour le monde de l'édition SFFF. À une époque où il n'y a pas de presse spécialisée et où le grand public ne connaît pour l'essentiel que ce qui a été adapté au cinéma, en série ou en jeu vidéo, nous manquons cruellement d'espace promotionnel. Même lorsqu'un retour est mitigé, encore une fois, c'est mieux que l'indifférence totale.

3 commentaires:

Olivier Bihl a dit…

Merci de ces dialoggues bien construits entre nos trois chevaliers....lol et si par malheur tu n'avais pas été publié....tu continuerais à écrire ...pour ton simple plaisr ? par nécessité ? pour MMe ?
A plus...

Fantasy à la carte a dit…

Effectivement, certains vont loin dans leur interprétation. Comme tes héros sont parfois sans filtre, je me demandais comment ils avaient été accueillis à la sortie du tome 1. D'ailleurs, le fait d'avoir été édité comme pépite de l'imaginaire pour les chevaliers du tintamarre et faire partie de la rentrée de la fantasy pour le voyage des âmes cabossées, est ce que cela a été un plus, en apportant plus de visibilité en librairies par exemple ?

Fantasy à la carte a dit…

Bonjour Raphaël, il est vrai qu'à l'heure d'aujourd'hui toutes ces plateformes comptent pour donner de la visibilité. Ca me fait penser que je pourrais également glisser un avis sur certaines pour Le Voyage des Âmes Cabossées. Au vu du nombre importante de sorties par mois, la concurrence est rude, sans doute que ces étiquettes aident le libraire dans son choix de mise en valeur, en tout cas, ça attire l'œil du lecteur, c'est certain. Si tu as pu sortir le tome 2, j'en déduis que le succès était au rendez-vous pour le tome 1, non ? Sinon, tu animes des ateliers d'écriture, qu'est ce qui te pousse à faire ce genre d'initiative ? Et comment cela se passe ?