lundi 5 novembre 2018

Seconde interview de Stefan Platteau














Dup :

Bonjour Stefan,

Moi je suis curieuse de ce Prandalipapat yoga ! Un petit tuto à nous montrer ? Un peu plus d'explications ? Ou peut-être des cours aux Imaginales ? Sur la pelouse comme Nabil Ouali !

Stefan :


Mais oui, Dup, j'y ai pensé ! Un cours de Prandalipapat yoga sur pelouse, animé par mes soins, est déjà programmé pour la Worldcon de 2020 à Wellington, Nouvelle Zélande. Si vous êtes intéressées, hâtez-vous de réserver vos places ! Et pour le voyage, je peux avoir des tarifs préférentiels par zeppelin, si vous le souhaitez.



Phooka :

Bonjour Stefan,

Alors je me suis lancée dans l'audio de Manesh et c'est un immense plaisir d'écoute. L'oralité dont tu parles dans tes réponses prend là toute son importance effectivement. Comment se passe la création de l'audio? Quel est le rapport de l'auteur avec le narrateur? As tu ton mot à dire? L'as tu écouté (du moins partiellement ?) . Quel a été ton sentiment?

Stefan :

Je n'ai pas encore écouté tout le livre audio, faute de temps, mais j'en ai écouté divers passages, et le résultat est très réussi, à mon sens ; je suis ravi qu'il te plaise ! En effet, c'est un texte fait pour être lu, et d'ailleurs, je me relis moi-même à voix haute lorsque je finalise un chapitre, pour voir s'il "tombe bien en bouche". C'est important qu'il passe bien à l'oral : c'est le récit d'un barde !


Chez Audible, j'ai eu la chance de pouvoir compter sur un comédien très impliqué, lecteur fervent, qui souhaitait rendre justice à la vision de l'auteur. Du coup, il m'a sollicité pour diverses choses, et notamment pour préciser la prononciation des noms propres, et valider certains effets sonores. Concernant les noms propres, justement, il m'a même donné des devoirs, puisque j'ai dû prononcer au micro des listes de noms, les enregistrer et les lui envoyer ! Matthieu (le comédien) a brillamment relevé le défi de rendre une prononciation qui mélange l'hindi et des langues celtiques.



Ramettes :

Merci pour ta réponse... c'est un sujet qui me touche de près... le petit dernier est parti pour vouloir les cheveux longs... Aura t-il la force de Samson, nous verrons... Bon passons à autre chose.

As-tu des affinités avec la navigation fluviale ou as-tu fait des recherches pour ta saga ?


Stefan :

Je n'avais pas d'affinités particulières avec la navigation fluviale avant d'écrire Manesh ; j'ai découvert toute la richesse du métier de batelier lors de mon travail documentaire préalable. Je me suis rapidement rendu compte que mon pitch de départ - une expédition qui remonte un fleuve vers sa source à travers la forêt vierge boréale - n'allait pas de soi. La navigation fluviale au Moyen Age n'est pas une mince affaire, y compris au beau milieu d'un royaume bien urbanisé. La descente est bien plus aisée que la remontée, au point que, dans nos régions, beaucoup d'embarcations rudimentaires étaient simplement démontée à la fin de leur voyage vers l'aval et leur bois revendu (on ne se donnait pas la peine de les hisser vers l'amont : c'était un voyage trop long, au point qu'il était plus rentable d'en construire une autre !). Le meilleur moyen de remonter un bateau de valeur restait le halage, mais cela suppose de gros travaux d'aménagements des rives, possibles seulement dans des royaumes prospères ! Les haleurs constituaient d'ailleurs un métier à part, distinct des bateliers. Evidemment, dans la forêt de Vyanthryr, pas de chemin de halage ! Il faut soit se risquer sur la berge gelée, lorsqu'elle est praticable, soit user de la voile, de la rame, ou mieux, de la perche si le fond est assez proche. Mais les gabarres du capitaine Rana sont déjà fort massives ! La jument du capitaine est également employée au halage. Et puis, bien sûr, il n'y a pas non plus d'écluse, ni même de pertuis (sorte de pente tenant lieu d'écluse pour franchir une cascade), si bien que la seule façon de franchir une chute d'eau importante, c'est de porter le navire sur la rive ! Enfin, il y a tous les dangers habituels de la navigation, aval comme amont, à commencer par les hauts-fonds. Pour franchir ces derniers, les gabarres disposent d'ailleurs d'un système de gouvernail ingénieux nommé la piautre, en usage depuis le Moyen Age. Il s'agit d'un gouvernail monté sur une barre diagonale, ce qui permet au batelier d'en contrôler la profondeur, et de le relever si le tirant d'eau diminue. Bref, après réflexion, la remontée envisagée par le capitaine Rana était possible, mais source d'aléas et de difficultés qui sont autant d'occasions de péripéties intéressantes à narrer ! Autre avantage : la possibilité de mettre en avant les bateliers, donc de laisser jouer un rôle de premier plan à des personnages qui ne sont ni de grands guerriers, ni des mages, ni des voleurs, ni aucun des archétypes habituels de la fantasy, mais appartiennent aux classes populaires, que je souhaitais rendre bien présentes et bien vivantes dans ma saga.

Je ne vais pas développer la question davantage ici, mais juste pour vous donner une idée, j'ai rencontré, sur le web, des sites répertoriant tout le vocabulaire de la navigation fluviale traditionnelle. Certains de ces sites répertorient plusieurs centaines de mots qui m'étaient inconnus ! Voir par exemple : http://projetbabel.org/fluvial/b.htm




Riz-Deux-ZzZ :

Je découvre l'Homme et je suis plutôt rassurée : si Manesh est dans la même veine que cette biographie haute en couleurs, je vais plonger dedans sans hésiter !

Stefan :

Alors "Manesh" n'est pas précisément dans la même veine, c'est un récit nettement plus "sérieux". La saga comporte l'une ou l'autre scène gargantuesque potentiellement amusante, mais ça reste une approche réaliste avant tout... en revanche, je me suis amusé à placer, dans ma bio, mes principales influences mythologiques : védiques (Inde), celtiques, grecques et latines, scandinaves, finlandaises...


Phooka :

Puisqu'on parle du fleuve, je ne peux pas m'empêcher de penser au Monde du Fleuve de Philip José Farmer quand j'écoute Manesh. Je l'ai lu il a tellement longtemps que je ne m'en souviens quasiment plus, sauf que j'avais adoré et que les héros avaient construit des bateaux pour remonter le fleuve. D'où mon analogie. Est ce que ça a pu être une influence ? 

Stefan :

Hello Phooka,


Je n'ai pas lu le Monde du fleuve, mais tu n'es pas la première à m'en parler, depuis la sortie de Manesh ! Il faudra que je m'y mette un jour...



Musea Uranie :

Bonjour Stefan, 

J'ai terminé Manesh ce week-end et whoua quel livre ! Je suis fasciné par l'univers que tu as réussi à créer et de toute cette poésie qui s'en dégage. Comment as-tu travaillé l'univers pour que tout puisse résonner de cette façon ? On a presque l'impression que tu as vécu cette traversé avec eux et côtoyé Manesh.

Stefan :

Merci pour ces compliments, Musea Uranie ! Je suis heureux que mon univers ait su t'embarquer !


La réponse à ta question est complexe... disons que pour bâtir un univers riche (et qui ait de la profondeur, et sa propre personnalité), il me semble qu'il faut le porter en soi longtemps, et surtout, l'emmener avec soi partout où sa petite boule de neige peut agréger des choses intéressantes : en voyage, au musée, lorsqu'on est plongé dans un bouquin d'Histoire, ou dans un Science et vie, ou même dans un Courrier international... se nourrir de faits humains au sens large, et éprouver souvent l'envie d'intégrer ces faits à son propre monde imaginaire. "Wow ! Quelle superbe mosaïque byzantine ! J'ai envie que ce genre de mosaïque existe dans mon univers, mais à quelle culture les rattacherais-je? Et surtout, comment les "dévier" pour que ce ne soit pas seulement un décalqué de Byzance, mais quelque chose de neuf, propre à mon univers?" Quand on se pose ce genre de questions, on peut, par exemple, choisir de garder la technique des artisans antiques, mais changer les motifs représentés, ou inventer des émaux rares très prisés de l'Empereur, ou des propriétés magiques, ou va savoir quoi... Un monde, c'est vaste, cela permet d'intégrer de nombreuses idées ! Mais il faut tout de même faire le tri, pour garder des lignes fortes, des traits de personnalité qui forgent l'identité de l'univers, ou du moins de l'ensemble géographique et culturel plus restreint dans lequel on a choisi de situer l'action. Dans le cas de mon "Royaume de l'Héritage", les deux influences fortes sont la culture Hindoue et les cultures celtiques. Ce royaume, c'est un peu comme si les Celtes avaient conquis l'Inde antique, ou le contraire (le climat est plus proche de l'Europe), et que tout cela avait évolué en une seule civilisation jusqu'au niveau technologique de la fin du Moyen Age.



Ce qui nous amène à un autre point : créez votre monde avec ce que vous êtes. C'est la meilleure façon de créer un univers original, ou au moins, qui ait sa propre personnalité. Comme le démontre très sérieusement ma bio (^^), j'ai vécu en Inde étant enfant, plus précisément entre mes 4 et mes 6 ans, à une époque cruciale de mon développement (je n'ai pas de souvenir antérieur à cette période indienne. C'est comme si j'étais vraiment né là-bas). J'ai donc baigné très tôt dans les mythes et épiques Hindous. Il était logique que j'éprouve une forte envie de les exploiter, et c'est sans doute l'une des choses qui donne à mon univers sa couleur propre. En même temps, tant qu'à passer des années d'exil dans ce monde-là, je me voyais mal ne pas embarquer avec moi une part de mes amours celtiques et finnois - sans parler de l'antiquité grecque et latine. Arriver à marier toutes ces influences en un tout cohérent qui soit plus que la somme des parties demande aussi du temps. C'est une alchimie qui se distille lentement, dans le creuset de nos imaginations d'auteur... 



Enfin, il est important d'avoir des racines cachées, c'est-à-dire des parties immergées de l'Iceberg, que l'on ne montre pas forcément au lecteur, mais dont celui-ci peut deviner la présence par moments, au détour d'une allusion ou d'un petit détail du texte : Histoire et géographie du monde, courants de pensée, faune et flore, j'ai des pages et des pages à ce sujet, encore inexploitées (ou très peu) dans ma saga. Pour moi, c'est important de faire ce travail, parce que les lecteurs "sentent" vite si ces racines cachées sont profondes, ou si les noms qu'on lui jette en pâture ne sont que de la verroterie pour faire joli. Mais soyons honnêtes, je le fais avant tout pour moi, parce que le World building me passionne, historien de formation que je suis !


Fantasy à la carte :

Bonjour Stefan, je me demandais si tu avais eu plus de difficulté à écrire un roman plus qu'un autre pour ce cycle. Ton œuvre est assez magistrale, c'est un sacré travail.

Stefan :

Hello ! Chaque livre impose ses difficultés propres. Bien sûr, le plus difficile à écrire fut sans doute le tome 1, parce que c'était mon premier roman, qu'il s'agissait de jeter les bases de la saga, de forger un style et créer une voix (celle du Barde), et aussi parce que le twist qui survient au trois quarts du livre n'était pas évident à mener (c'est assez tendu, quand on y réfléchit).


Mais paradoxalement, le premier tome est également celui où l'auteur est le plus libre, puisqu'il démarre avec une page vierge ; et puis le processus d'écriture s'est étalé sur presque 8 ans, sans deadline : quand un éditeur attend de vous un manuscrit remis dans les temps, la pression qui en résulte augmente le sentiment de difficulté (il faut être bon, mais il faut l'être en bossant vite).

C'est donc l'écriture du tome 3 qui m'a laissé la plus grande impression de défi, et même d'épreuve. D'abord parce que c'est celui qui m'a demandé d'écrire le plus grand nombre de pages en un minimum de temps, ce qui m'a amené, les trois derniers mois, à bosser parfois 12 à 14h par jour. A la fin d'un tel marathon, vous avez le cerveau en compote, c'est à peine si vous vous souvenez du prénom de vos proches ou de votre numéro de téléphone.


Attention, spoilers ! Mais la teneur du bouquin représentait aussi un défi de taille, en raison des thèmes traités dans le récit de la Courtisane. D'abord, cette partie de son dit est plus sordide, ce qui pourrait laisser de côté une partie du lectorat, avide d'action héroïque. Nous sommes dans de la "social fantasy". Il fallait donc maintenir l'intérêt avec les éléments fantastiques liés à l'Outre-songe, avec les épreuves traversées par les personnages de Meijo et Shakti, et la complexité malsaine de leur relation.


encore spoilers ! Le développement de cette dernière représentait d'ailleurs mon défi majeur. Nous avons affaire à un personnage principal féminin sous influence, et même manipulé. Il peut être difficile de s'enthousiasmer pour un personnage manipulé, surtout lorsqu'on est habitué aux grandes guerrières et autres héroïnes à fort tempérament. De plus, il est toujours plus aisé de détecter une manipulation de l'extérieur, que lorsqu'on est pris dedans. De l'extérieur, on est vite tenté de juger la victime stupide ou naïve. Pourtant, dans la vraie vie, les personnes manipulées par un proche sont souvent des personnes intelligentes, dotées d'une empathie supérieure à la moyenne, et davantage portées à se remettre en question que la moyenne - qualités qui sont retournées habilement contre elles par le manipulateur. Bref, il s'agissait d'être juste sur ces mécanismes, d'expliquer comment et pourquoi une femme forte (au fond) retourne sa propre force contre elle-même, s'englue et se piège dans les rets du manipulateur. De ce point de vue, le portrait de Shakti est tissé sur les trois tomes, par petites touches. Ses fissures tiennent notamment à la mort d'un père "abandonné" à son sort par la mère (elle a refusé de punir le fauve meurtrier, lequel est d'ailleurs son vassal, et même accusé le père d'être seul responsable de son propre trépas), et à la colère (et aux doutes insidieux !) que cet abandon a provoqué chez l'enfant Nisu, qui grandira dans une vision du monde où les mères sont impitoyables et les hommes des victimes à sauver. Son histoire se poursuit avec le meurtre symbolique de ladite mère à travers une ourse qui n'est pas femelle sans raisons (narratives), et la fusion amoureuse avec un homme qui partage la même blessure qu'elle, à savoir un père absent (les amours fusionnels, il me semble, sont souvent basés sur des failles partagées, plutôt que sur des forces échangées, et c'est ce qui les rend tragiques au final). Elle débouche sur l'impossibilité profonde, pour Shakti, d'abandonner à son tour son homme, par crainte de reproduire ce qu'elle reproche à sa mère. J'avoue avoir refusé de souligner ces "clés" au gros traits rouge : j'aime laisser le lecteur creuser par lui-même ; mais je les mettrai à plat dans le tome suivant. ça, c'est pour la psychanalyse de Nisu ; l'histoire d'une femme qui ne peut s'empêcher de vouloir à tout prix sauver un homme, pour "réparer" la blessure de son enfance. Mais il y a aussi des raisons tout à fait matérielles et sociales à l'emprise de Meijo, dont la difficulté, pour une femme migrante, de survivre seule sans devoir recourir à des expédients peu avouables, le peu de protection qu'une société patriarcale offre aux femmes contre les manipulateurs masculins, et bien sûr "l'excuse" de l'Outre-songe, qui vient brouiller les cartes.

J'ai fait le pari que le lectorat féminin (et une partie du lectorat masculin) serait sensible à ces thématiques, ou même s'y retrouverait. Et je serais ravi d'avoir vos retours là-dessus !

Au final, le tome 1 comme le tome 3 sont bâtis autour d'un personnage qui se révèle ne pas être ce que l'on croyait, et auquel on finit par découvrir une forme d'héroïsme remarquable et inattendue - un héroïsme à dimension humaine, plutôt qu'un héroïsme de superhéros. Pour moi, ce sont les dimensions essentielles de ces deux romans ; mais ce ne sont peut-être pas celles qui vous sauteront aux yeux à première vue.
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6 commentaires:

Phooka a dit…

Puisqu'on parle du fleuve, je ne peux pas m'empêcher de penser au Monde du Fleuve de Philip José Farmer quand j'écoute Manesh. Je l'ai lu il a tellement longtemps que je ne m'en souviens quasiment plus, sauf que j'avais adoré et que les héros avaient construit des bâteaux pour remonter le fleuve. D'où mon analogie. Est ce que ça a pu être une influence?

Musea Uranie a dit…

Bonjour Stefan,

J'ai terminé Manesh ce week-end et whoua quel livre ! Je suis fasciné par l'univers que tu as réussi à créer et de toute cette poésie qui s'en dégage. Comment as-tu travaillé l'univers pour que tout puisse résonner de cette façon ? On a presque l'impression que tu as vécu cette traversé avec eux et côtoyé Manesh.

Fantasy à la carte a dit…

Bonjour Stefan, je me demandais si tu avais eu plus de difficulté à écrire un roman plus qu'un autre pour ce cycle. Ton œuvre est assez magistrale, c'est un sacré travail.

Dup a dit…

Dis moi, d'où t'es venu cette idée de créer une horde de cochons sauvages ? C'est la première fois que j'en croise en fantasy et je dois reconnaître que c'est parfaitement flippant. Une rencontre terrifiante en forêt avec une famille de sangliers ?

Les lectures de Licorne a dit…

Re-bonjour Stefan !
On sent l'historien qui vibre sous l auteur et le chasseur peut être !. Le moyen âge est une période qui inspire beaucoup l'univers de la fantasy. Est-ce la période que tu préfères ? Une autre en particulier ?

Fantasy à la carte a dit…

Merci Stefan pour ton retour très précis et très intéressant. En lisant ton premier roman, on sent tout le travail derrière. Mais là on s'immerge encore plus dans l'envers du décor. C'est juste impressionnant. Et le résultat est plus qu'à la hauteur. je te dis bravo. Je suis pour le coup très curieuse de lire la suite. Ceci n'était qu'une mise en jambe. Du coup, je rebondis et je demande si tu as un personnage auquel tu te sens plus proche ou plus attaché et pourquoi?