mardi 27 novembre 2018

Sixième Interview de Stefan Platteau














Olivier :

Mes petites questions difficiles à poser, tant mes petites camarades se sont déchainées...

- J'ai découvert deux livres aux histoires radicalement différentes, comment fait-on pour passer de l'univers de l'un de ses livres à un autre ? je lis que tu es en train d'écrire le quatrième et dernier volume de ce cycle Les Sentiers des Astres... combien de livre écris-tu en simultanée? de plus j'imagine que tu es tenu aux délais fixés par tes éditeurs, tu vis ou lis quand même par ailleurs ? une culture encyclopédique tu dois avoir pour jongler de la sorte entre orient, occident, hindouisme et mythologies... d'où tires-tu tout cela ? (recherche Internet ? propre bibliothèque ? bibliothéques publiques ? autres auteurs ?. Est-ce qu'en Belgique on peut mieux vivre de son écriture que par chez nous ? un métier à part entière ou un complément de revenus ?

Stefan :


Bonjour Olivier ! Avant tout, merci pour ces belles chroniques…

Eh bien ! Quelle rafale de questions ! Je devrais utiliser un sortilège de détriplement pour répondre…

Par chance, les deux livres que tu as lu (Dévoreur/roi cornu et Manesh) se déroulent dans le même monde ! C’est d’ailleurs ce qui me permet de passer de l’un à l’autre via un processus très naturel. Le Roi cornu est né de l’envie de raconter la migration légendaire du peuple Firwane, que j’évoquais rapidement dans le deuxième tome de la saga. Cette novella est donc un bon complément à la lecture de Shakti. Quant à Dévoreur, c’est une histoire qui est apparue spontanément dans mon esprit en concevant le système des Astres qui régentent mon univers. Bon, en vrai, j’avais aussi très envie d’écrire un Dialogue avec un monstre…

Cedi dit, je n’écris qu’un seul livre en même temps. Pour l’instant, c’est le quatrième (et avant-dernier !) tome de la saga.

Vivre de sa plume est aussi difficile en Belgique qu’en France, hélas… et d’ailleurs impossible sans le marché français. Je ne fais pas (pas encore ?) partie de ceux qui peuvent se le permettre (et vu mon créneau de fantasy adulte assez exigeante, j’ai peu de chances d’y parvenir). J’ai donc un second métier, qui est en fait très chouette, dans le social, à Bruxelles, un emploi à 80%, avec de super collègues. Ouf ! Mais oui, combiner ces deux activités est assez difficile, et ne me laisse que trop peu de temps pour lire, hélas !

Et pour ta question sur la culture : pas tant que ça. J’ai des collègues beaucoup plus impressionnants, à côté desquels je me sens tout petit… surtout que j’ai tendance à lire, digérer les faits culturels intéressants, les mâchouiller à ma façon, les recracher pour les intégrer au menu (bonne lecture, et surtout bon appétit !), et puis très vite, oublier les faits originels (sans doute une ruse de mon égo pour m’auto-persuader que j’ai tout inventé à partir de rien). Rien à voir avec la mémoire phénoménale d’un Jaworski, par exemple.


Licorne :

Stefan, pour éviter que le tarin ne chatouille trop, je vais faire vite !

Alors ...La filiation et le fait de chercher à connaitre ses racines coute que coute ont l'air d'être un sujet important pour vous ? Vrai ou faux ?

et vite je me dépêche, quel est le personnage qui vous ressemble le plus dans cette histoire, selon vous !


Stefan :


Itou, merci pour la chronique ! :)


La filiation et le rapport à ses racines (surtout lorsqu’elles sont divergentes) est effectivement un sujet important dans l’histoire de Manesh. La difficulté à vivre sans père ou/et avec des racines conflictuelles, difficiles à harmoniser, se retrouve aussi dans le récit de vie de Shakti. Sans déflorer trop le sujet, disons que le manque de père peut rendre certains personnages vulnérables, et en transformer d’autres en véritables crapules. Tiens, sur le sujet, je conseille un animé : « le Garçon et la bête », vraiment très bien.


Et pour ta seconde question (oui oui, tu triches, t’en as mis plusieurs ! Mais pas autant que le Monsieur au-dessus, allez) : je me retrouve moi-même dans plusieurs personnages. Il y a beaucoup de Fintan (pour le côté musicien/conteur mais aussi pour l’humanisme un peu realpolitik), une dose modérée de Manesh (pour l’inépuisable pulsion de vie et de créer. Les cabanes dans les arbres, c’est moi enfant !), et même un peu de la Courtisane (mais là je n’en dis pas plus).


Viens maintenant la rafale de questions de Phooka que l'on va scinder ;)

Phooka 1:

Quels seraient les 5 romans que tu conseillerais à quelqu'un qui veut découvrir la fantasy?

Stefan :

Cela dépendrait fortement de l’âge, des intérêts et des habitudes de lecture de la personne ! Harry Potter reste une superbe porte d’entrée pour les enfants et même pour les adultes, à la fois riche, subtile, peu manichéenne.
 Pour ados, jeunes adultes, ou adultes souhaitant une lecture enlevée, la Passe-Miroir de Christelle Dabos vaut largement le détour, avec des qualités similaires.
 Le Seigneur des anneaux est merveilleux, mais les cent premières pages sont difficiles d’accès, donc je conseillerais plutôt de le découvrir en trilogie ciné.
 À des lecteurs exigeants venus de la littérature générale, et peut-être pétris d’à-priori sur les « mauvais genres », je conseillerais Gagner la Guerre de Jaworski, L’enfant de Poussière de Dewdney, ou encore la Forêt des Mythagos de Robert Holdstock
Pour une porte d’entrée rapide mais riche, le premier tome de Terremer, de Le Guin
À une personne qui aime le spleen, je recommanderais Chien du Heaume de Niogret
À un passionné d’Histoire, un Gavriel Kay, ou bien le Bâtard de Kosigan de Cerutti. 
À une personne très engagée dans l’humanitaire, Qui a peur de la mort de Nnedi Okorafor

En fait, il n’y a pas cinq bonnes réponses à ta question : le tout est de trouver la bonne porte d’entrée, celle qui correspond le mieux à la personne.

Phooka 2:

Quels sont tes livres préférés, tous genres confondus?


Stefan :

L’île au trésor de Stevenson (un amour de jeunesse…), le Seigneur des Anneaux, Dune, le Pendule de Foucault et l’Ile du jour avant d’Umberto Eco, le cinquième tome d’Harry Potter. Quelques novellas de Lovecraft : La Couleur tombée du ciel, l’Abomination de Dunwich, les Montagnes hallucinées. Jonathan Strange and Mister Norell. Tristan et Iseult, le Mahabaratha, l’Iliade.


Les BD, ça compte ? En BD : les Compagnons du Crépuscule de François Bourgeon, Silence de Didier Comès, La Ballade de la Mer salée de Hugo Pratt, Cromwell Stone d’Andréas, et quelques autres encore.

Phooka 3:

Quel a été le premier livre imaginaire (ou pas d'ailleurs) que tu as lu et qui t'a vraiment marqué ?


Stefan :
J’ai abordé l’imaginaire d’abord par la BD, donc je dirais les sept premiers Thorgal, en particulier l’album par lequel je l’ai découvert, « La chute de Brek Zarith ».

Phooka 4:

Quel est le héros de roman qui t'a le plus marqué ?


Stefan :
Severus Snape

Phooka 5:

Trouves-tu toujours le temps de lire entre ton boulot et l'écriture? Si oui, quel est le roman récent qui t'a marqué?

Stefan :

Dur dur (cfr. plus haut), mais j’ai fait tout de même trois belles découvertes ces derniers mois : L’enfant de poussière de Dewdney, La Passe-Miroir de Dabos et La ballade de Black Tom de Victor Lavalle (dans la collection Une heure lumière du Bélial, superbe récit lovecraftien vu du point de vue d’un adorateur, mais avant tout récit sur la ségrégation raciale. Je n’en dis pas plus).


Dup :

Étant passée à Shakti, j'ai un autre sujet à aborder : la musique. Comment t'es venue cette idée géniale d'y associer la magie ? Ce passage où Fintan déballe son instrument dans la forêt, joue et chante est tout simplement grandiose.
Es-tu un musicos toi aussi ?
De quel instrument joues tu, ou aimerais jouer ?
Un petit récital à nous proposer aux Imaginales après le cours de Prandalipapat yoga ?


Stefan :

Je suis musicos aussi. Je joue de la guitare, un peu de violon et de clavier. Je pousse parfois la chansonnette. Je n’ai pas un grand niveau technique, mais j’ai la fibre du compositeur/arrangeur un peu touche-à-tout, et ça m’éclate. Pour l’instant, notre projet musical est en re-gestation, mais vous pouvez trouver de vieilles choses ici :



Du coup, l’envie d’associer musique et magie était forte chez moi. L’idée n’est pas nouvelle, hein : on la retrouve dans le barde façon D&D old school (ma classe de perso préféré). Ce qui est nouveau, c’est la logique des Chants primordiaux, chants de l’origine des choses, qui peuvent conférer au barde du pouvoir sur ces choses, à condition d’en faire une interprétation parfaite. Bien sûr, encore faut-il connaître les chants eux-mêmes, qui ne se transmettent que d’initié en initié…
Pour le récital aux Imaginales, c’était l’an passé avec le concert-lecture des Deep Ones, le samedi soir. Dommage de l’avoir manqué !



Riz-Deux-ZzZ :

Re !
Après ma lecture de Manesh, j'ai appris que le tome 2 serait du point de vue de Shakti... Et comme j'ai souvent un très grand intérêt pour les personnages secondaires qui se font discrets, je suis ravie de voir qu'elle aura son "moment de gloire".
J'ai une question qui me taraude à peu près à chaque roman qui utilise ce procédé mais comme j'ai la chance d'avoir un auteur disponible ;) j'en profite : est-il plus compliqué de se projeter dans un personnage du sexe opposé ? Y-a-t-il un réel effort de psychologie ou alors c'est les doigts dans le nez (sans mauvaise blague en rapport avec les réponses des interviews précédentes :p ) ?

Stefan :

Shakti aura plus que son moment de gloire : son récit de vie est le plus long et le plus complexe de la saga (mais j’ai une excuse : c’est aussi l’histoire de sa fille Kunti. Et une autre excuse : ce sont les seuls personnages féminins de l’expédition Rana. Et encore une autre excuse : son dit me servira à introduire la guerre civile). D’ailleurs, dans Les Sentiers des Astres, mieux vaut oublier les notions de personnage principal et secondaire : l’héroïsme est un flambeau qui passe d’une main à l’autre, et peut parfois arriver dans des mains inattendues.

Et pour la seconde question : c’est forcément plus difficile pour un homme de prendre le point de vue d’une femme, d’en adopter la perception. Le rapport au monde aussi (en particulier lorsque le personnage évolue dans une société traditionnelle profondément patriarcale comme l’Héritage). Le risque est grand de tomber dans de vilains clichés de genre, par facilité ou/et par mauvaise connaissance de la sensibilité et des réactions féminines.

Le défi est particulièrement grand lorsqu’il s’agit de sexualité, ou plus généralement de rapport au corps (que l’on retrouve justement dans le récit de Shakti, à plusieurs niveaux). Le fait est que la plupart des hommes comprennent assez mal la sexualité féminine. De ce point de vue, nous vivons une époque passionnante, où la parole des femmes, longtemps écrasée sous des représentations servant l’intérêt du plaisir masculin (ou plus exactement, croyant le servir… ^^), se libère, tordant le cou à nombre d’idées fausses très dommageables. On se rend compte d’un décalage important entre la réalité et le modèle de relation proposé par la société. Ecouter la parole des femmes, c’est donc une clé vitale pour l’écrivain qui souhaite parler du corps au féminin. C’est donc ce que j’ai fait pour rédiger les passages les plus délicats du dit de la belle, et j’en remercie celles qui m’ont livré leurs témoignages.



2 commentaires:

Riz-Deux-ZzZ a dit…

Re !
Après ma lecture de Manesh, j'ai appris que le tome 2 serait du point de vue de Shakti... Et comme j'ai souvent un très grand intérêt pour les personnages secondaires qui se font discrets, je suis ravie de voir qu'elle aura son "moment de gloire".
J'ai une question qui me taraude à peu près à chaque roman qui utilise ce procédé mais comme j'ai la chance d'avoir un auteur disponible ;) j'en profite : est-il plus compliqué de se projeter dans un personnage du sexe opposé ? Y-a-t-il un réel effort de psychologie ou alors c'est les doigts dans le nez (sans mauvaise blague en rapport avec les réponses des interviews précédentes :p ) ?

Hubert a dit…

Bonjour,
C'est pas beau de cafter, mais puisqu'on demande : la librairie nantaise si laudative sur votre travail est la Librairie Durance cours des 50 otages. Je la remercie grandement !